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approuvait cet hommage rendu à des hommes dont le talent devait polir, par la culture des lettres, des esprits encore grossiers[1]. Caton seul, inexorable, prétendait que ces arts ne tarderaient pas à corrompre la jeunesse romaine et à lui faire perdre le goût des armes ; et il fit congédier ces philosophes.

Envoyé en Afrique comme arbitre pour apaiser la lutte entre Masinissa et Carthage, il ne fit que l’envenimer. Jaloux de voir encore cette ancienne rivale grande et prospère, il ne cessa de prononcer contre elle l’arrêt de mort devenu célèbre : Delenda est Carthago. Scipion Nasica, au contraire, s’opposait à la destruction de Carthage, qu’il jugeait trop faible pour nuire, mais encore assez forte pour entretenir une crainte salutaire, propre à empêcher le peuple de se jeter dans tous les excès, suite inévitable de l’agrandissement démesuré des empires[2]. Malheureusement l’opinion de Caton triompha.

Il faut, comme le dit un de nos premiers écrivains, « que la vérité soit chose bien divine, puisque l’erreur des honnêtes gens est aussi fatale à l’humanité que le vice, qui est l’erreur des méchants. »

Caton, en poursuivant de ses accusations les principaux citoyens, et entre autres Scipion l’Africain, apprenait aux Romains à douter de la vertu[3]. En exagérant ses attaques et en passionnant ses jugements, il faisait soupçonner sa justice[4]. En incriminant des vices dont lui-même n’était pas exempt, il ôtait toute force morale à ses remontrances[5].

  1. Plutarque, Caton le censeur, xxxiv. — Aulu-Gelle, VI, xiv.
  2. Tite-Live, Epitome, XLIX.
  3. « Caton aboyait sans cesse contre la grandeur de Scipion. » (Tite-Live, XXXVIII, liv.)
  4. « P. Caton avait un esprit aigre, la langue acerbe et sans mesure. » (Tite-Live, XXXIX, xl.)
  5. « Il déclamait contre les usuriers, et lui-même prêtait à un haut intérêt