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été, d’une part, de modérer l’ardeur des conquêtes ; de l’autre, de diminuer le nombre des aspirants au pouvoir en lui donnant plus de durée. Mais alors le peuple seul, guidé par son instinct, sentait le besoin de remédier au vice de l’institution, en conservant l’autorité à ceux qui avaient sa confiance. C’est ainsi qu’il voulait nommer Scipion l’Africain dictateur perpétuel[1], tandis que les prétendus réformateurs, comme Porcius Caton, asservis aux vieilles coutumes, et dans un esprit de rigorisme outré, faisaient rendre des lois pour interdire au même homme d’aspirer deux fois au consulat, et pour reculer l’âge auquel il était permis de prétendre à cette haute magistrature.

Toutes ces mesures allaient contre le but qu’on se proposait. En maintenant les élections annuelles, on laissait la carrière libre aux convoitises vulgaires ; en excluant la jeunesse des hautes fonctions, on comprimait l’essor de ces natures d’élite qui se révèlent de bonne heure, et dont l’élévation exceptionnelle avait si souvent sauvé Rome des plus grands désastres. N’avait-on pas vu, par exemple, en 406, Marcus Valerius Corvus, porté au consulat à l’âge de vingt-trois ans, gagner sur les Samnites la bataille du mont Gaurus ; Scipion l’Africain, nommé proconsul à vingt-quatre ans, conquérir l’Espagne et abaisser Carthage ; le consul Quinctius Flamininus remporter à trente ans, sur Philippe, la victoire de Cynoscéphales ? Enfin, bientôt Scipion Émilien, qui doit détruire Carthage, sera nommé consul avant l’âge fixé par la loi même de Caton.

Sans doute Caton le censeur, probe et incorruptible, avait la louable intention d’arrêter la décadence des mœurs ; mais, au lieu de s’en prendre à la cause, il s’en prenait à l’effet ; au lieu de fortifier le pouvoir, il tendait à l’affaiblir ; au lieu

  1. Scipion réprimande le peuple, qui voulait le nommer consul et dictateur perpétuel. (Tite-Live, XXXVIII, lvi.)