Page:Louis Napoléon Bonaparte - Histoire de Jules César, tome 1, Plon 1865.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Rome, elle se reformait aussitôt, puisque le peuple était soumis au recrutement. Si la pénurie du trésor obligeait de retarder la paye, les soldats carthaginois se révoltaient et mettaient l’État en péril ; les Romains supportaient les privations et la misère sans murmures, par le seul amour de la patrie.

La religion carthaginoise faisait de la divinité une puissance jalouse et malfaisante, qu’il fallait apaiser par d’horribles sacrifices ou honorer par des pratiques honteuses : de là des mœurs dépravées et cruelles ; à Rome, le bon sens ou l’intérêt du gouvernement tempérait la brutalité du paganisme, et maintenait dans la religion des idées de morale[1].

Quelle différence encore dans la politique ! Rome avait dompté par la force des armes, il est vrai, les peuples qui l’environnaient ; mais elle s’était pour ainsi dire fait pardonner ses victoires en offrant aux vaincus une patrie plus grande et une part dans les droits de la métropole. D’ailleurs, comme les habitants de la Péninsule étaient en général d’une même race, elle avait pu facilement se les assimiler. Carthage, au contraire, était demeurée étrangère au milieu des indigènes d’Afrique, dont la séparaient l’origine, la langue et les mœurs. Elle avait rendu sa domination odieuse à ses sujets et à ses tributaires par l’esprit mercantile et les habitudes de rapacité de tous ses agents : de là des insurrections fréquentes et des répressions d’une cruauté inouïe. La défiance envers ses sujets l’avait engagée à laisser ouvertes toutes les villes de son territoire, afin qu’aucune

  1. Ainsi le Jupiter du Capitole, la Junon italique, dans leur culte officiel du moins, étaient les protecteurs des mortels vertueux et punissaient les méchants, tandis que le Moloch et l’Hercule phéniciens, adorés à Carthage, n’accordaient leurs faveurs qu’à ceux qui faisaient couler un sang innocent sur leurs autels. (Diodore de Sicile, XX, xiv.) — Remarquer les figurines de Moloch tenant un gril destiné à des sacrifices humains. (Alb. della Marmora, Antiquités sardes, pl. 23, 51, t. II, p. 254.)