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Douze escaliers de quarante-deux marches y conduisent. La galerie qui le couronne est, comme la précédente, sommée de tours aux angles ; elle est formée, extérieurement par un mur coupé de fenêtres, intérieurement par une double colonnade ; des galeries perpendiculaires partent du milieu de chaque face et à leur intersection s’élève la tour centrale qui a 56 mètres de hauteur au-dessus de la chaussée par laquelle nous sommes arrivés. À la base de cette tour est un quadruple sanctuaire. De petits péristyles à colonnes rondes s’ouvrent de chaque côté des galeries médianes sur les quatre petites cours qu’elles ménagent à l’intérieur de l’étage. Enfin, au pied du principal escalier, celui du milieu de la face ouest, sont deux petits édicules de moindre importance que ceux que nous avons rencontrés déjà. Ils semblent n’être placés là que pour faire ressortir la hauteur et les belles proportions de l’édifice central.

Telle est la description sommaire d’Angcor Wat, description que complètent les planches de l’atlas et les dessins du texte.

Tout dans ce vaste monument ne semble avoir pour but que le sanctuaire. Tout y monte, tout y conduit. Quel que soit le point par lequel on aborde l’édifice, on se trouve involontairement porté et guidé vers l’une des grandes statues qui occupent les faces de la tour centrale et regardent les points cardinaux. La base des tours d’angles est vide et n’est que le point de croisement très-légèrement élargi des galeries voisines. Les beaux édicules construits entre le premier et le second étage passent inaperçus : toutes les galeries qui les entourent sont à mur plein du côté qui leur fait face. Les puissantes moulures du soubassement de l’édifice central, les marches roides et hautes des grands escaliers, les lions de taille décroissante qui les encadrent augmentent l’effet de la perspective et la sensation de la hauteur. On approche du sanctuaire, et la décoration augmente de richesse. Le ciseau fouille plus profondément la pierre, les colonnades se doublent, des merveilles de sculpture éclatent partout, des traces de dorure deviennent visibles dans les creux de la pierre. Quelles admirables arabesques se dessinent sur ces pilastres qui encadrent les portes mêmes du sanctuaire ! Des deux côtés, le dessin général paraît symétrique ; mais l’on s’approche et l’on aperçoit la variété la plus agréable dans les détails. Chacun de ces gracieux entrelacements, de ces capricieux dessins, paraît être l’ouvrage d’un artiste unique, qui, en composant son œuvre, n’a rien voulu emprunter à l’œuvre voisine ; chacune de ces pages de pierre est le fruit d’une inspiration délicate et originale, et non l’habile reproduction d’un modèle uniforme. En quelques endroits, la page commencée ne s’achève pas, la pierre reste fruste et attend encore le ciseau. L’artiste est-il mort au milieu de son travail, et ne s’est-il trouvé personne qui ait pu lui succéder ? Il semble que ce soit là le sort de tous les grands monuments. Angcor Wat est tombé en ruines avant d’avoir jamais été achevé.

Les reproductions des photographies de M. Gsell, qui accompagnent ce texte, montrent quel est l’état actuel du temple. Presque partout les voûtes s’entr’ouvrent, les péristyles chancellent, les colonnes s’inclinent, et plusieurs gisent brisées sur le sol : de longues traînées de mousse indiquent le long des murailles intérieures le travail destructeur de la pluie ; bas-reliefs, sculptures, inscriptions, s’effacent et disparaissent sous cette rouille qui les ronge. Dans les cours, sur les parois des soubassements, sur les toits et jusqu’à la surface des tours.