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PIÈCE No 4

RÉCLAMATION

ADRESSÉE À M. GARNIER, CHEF DE LA MISSION D’EXPLORATION DU MÉKONG, PAR DEUX CHINOIS CHRÉTIENS DE LA VILLE DE PA HIEN[1].

« Nous, soussignés, Lo-cong-sin et Tchen-ming-sin, habitants de Pa hien, ville du département de Tchong-kin (province du Se-tchouen), venons réclamer votre protection et vous demander de défendre notre cause. On veut nous empêcher de faire le commerce du sel[2], sous prétexte que nous sommes chrétiens. Pendant six années le gouvernement n’avait pu trouver à Pa hien de fermiers pour le sel : nous avons consenti à payer à l’État les droits acquis pour ces six années et à accepter pour l’avenir la charge du fermage. La perte à laquelle nous consentîmes ainsi, s’éleva, en y comprenant le salaire des soldats préposés à la garde des magasins, à la somme de 100,030 taels. Nous pouvons produire les reçus de cette somme. Notre acceptation du fermage eut lieu solennellement devant le préfet de la ville.

« Depuis cette époque, les frères Kiang-pin-lin se sont efforcés par tous les moyens déshonnêtes de nous enlever le droit de faire le commerce du sel. Ils ont réussi à nous voler la permission de vente qui nous avait été accordée. Accusés de ce vol devant l’administrateur général de la province, ils ont comparu avec nous, devant son tribunal, où, la cause ayant été entendue, il a été déclaré que nous devions rester jusqu’à la fin de notre bail possesseurs du privilège, sous condition de payer fidèlement à l’État les droits échus. Malgré ce jugement, les frères Kiang-pin-lin ont refusé, à notre retour à Pa hien, de nous rendre la permission qu’ils nous avaient volée, ont corrompu à force d’argent le préfet de la ville, et se sont mis en possession du monopole de la vente du sel. Ils nous empêchent d’exercer notre commerce, déclarent que les chrétiens sont les ennemis de la patrie, et qu’ils n’ont aucun droit à faire le trafic du sel. Ces misérables vont jusqu’à affirmer, que d’après les traités conclus avec les nations étrangères, les chrétiens n’ont pas le droit de faire le commerce et que les distinctions les plus humiliantes ont été faites entre eux et le reste du peuple.

« La paix avait régné jusqu’à présent entre les chrétiens et le peuple. Au début de notre fermage nous avions usé sans obstacle de notre droit de vendre du sel. Les frères Kiang ayant voulu nous en empêcher, avaient été réprimandés par le vice-roi de la province. Mais aujourd’hui, ils ont fermé avec de l’argent les oreilles du préfet de la ville, et ils usurpent un droit qui nous appartient. Tous les Chinois, qu’ils soient chrétiens ou gentils, sont au même titre les enfants de l’empereur. Ce serait violer les traités que de faire pour les chrétiens des exceptions injurieuses. Votre Excellence a traversé les mers pour venir observer par elle-même si les conventions faites par la Chine avec les puissances étrangères sont fidèlement observées. Nous venons nous jeter à vos pieds et nous nous en remettons à votre prudence pour que justice nous soit rendue. »

« Cette pétition a été adressée le quatrième mois de la septième année de Tong-tche. »


  1. L’original de cette pièce est écrit en latin.
  2. Le sel est une des denrées dont le gouvernement chinois se réserve le droit d’affermer la vente.