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PIÈCE No 3

PÉTITION

ADRESSÉE À M. GARNIER. CHEF DE LA MISSION D’EXPLORATION DU MÉKONG, PAR LES NOTABLES DU PAYS DE CHE-LOU-LI, EN FAVEUR DU MANDARIN PEN-TSE-YANG[1].


À Son Excellence Ngan ta-jen, envoyé français.

« Les notables des seize tribus de la ville de Ta-yao hien (département de Tchou hiong, province du Yun-nan), dont les noms suivent, s’adressent avec le plus profond respect à Votre Excellence pour lui exposer les belles actions de Pen-tse-yang, et vous supplier de lui faire accorder les récompenses qu’il a méritées en défendant courageusement notre territoire contre les rebelles.

« Vous n’ignorez pas que la 6e année du règne de l’empereur Han-fong[2], un homme nommé Tou-ouen-sieou[3] s’est emparé de la ville de Ta-ly et s’est proclamé indépendant. La 9e année, il a occupé les trois villes des seize tribus[4]. Heureusement, l’officier, préposé à cette époque à la garde du fleuve Pe-ma, se trouvait être le Ouay-oui[5] Pen-tse-yang. Il réunit immédiatement les principaux des seize tribus, les excita à lever des troupes, se mit à leur tête et réussit à délivrer Pe-yen-tsin, Yuen-ma et Ta-yao. Pendant cinq ans, il lutta avec un courage admirable et une indomptable ténacité. La première année du règne de Tong-tche[6], le rebelle Tou-ouen-sieou rassembla des troupes innombrables, et il envahit le territoire des seize tribus avec des forces telles que Pen-tse-yang dut céder à l’orage et se retirer dans le Se-tchouen. Là, il rallia ses soldats et, au bout d’une année, il tenta de nouveau de chasser les rebelles. Son courage ne put venir à bout de leur nombre, mais cet échec n’ébranla pas sa constance. Le 8e mois de la seconde année de Tong-tche, aidé par des troupes qui lui furent envoyées par le vice-roi de la province, il mit en fuite les ennemis et rentra victorieux à Pe-yen-tsin, à Ta-yao et à Yuen-ma. Il s’occupa immédiatement de repeupler la contrée, rappela ceux qui s’étaient enfuis, fit fleurir l’agriculture, reconstitua les écoles, protégea le commerce, donna ses soins aux orphelins et aux infirmes, honora les gens de science. Il fut l’adversaire implacable du mal et l’ami fidèle du bien. On le vit pratiquer toutes les vertus et mériter l’affection de tous par son courage, sa douceur, sa justice. Sa renommée se répandit au loin et les marchands affluèrent dans la contrée. Six ans à peine s’étaient écoulés depuis leur pillage par les rebelles, et les trois villes, entièrement relevées de leurs ruines, étaient redevenues plus florissantes que jamais.

« L’année passée, les succès obtenus dans l’ouest par les rebelles frappèrent de crainte les soldats qui gardaient Pe-yen-tsin, Yuen-ma et Ta-yao : ils s’enfuirent, laissant ces villes sans défense contre les entreprises de l’ennemi. Le péril était grand : Pen-tse-yang sut le conjurer. Il arma les habitants, leur fit garder tous les passages et par sa vigilance et son courage déjoua les projets des rebelles. Repoussés à plusieurs reprises, ceux-ci renoncèrent à nous attaquer. Aujourd’hui, la sécurité et la paix règnent sur notre territoire : nous sommes à l’abri des dévastations et des violences dont souffrent les habitants du reste de la province. Récompenser Pen-tse-yang, pour tous les bienfaits que nous lui devons depuis le commencement de la guerre, est au-dessus de nos forces. C’est pour cela que nous venons nous jeter aux pieds de Votre Excellence et la supplier de faire accorder à Pen-tse-yang les dignités qu’il a si bien méritées. Vous vous acquerrez ainsi des droits éternels à notre reconnaissance.

« Cette pétition a été adressée le second mois de la septième année de Tong-tche. »


  1. L’original de cette pièce est écrit en latin.
  2. Prédécesseur de l’empereur actuel.
  3. Nom du sultan de Ta-ly.
  4. Ce sont Pe-yen-tsin, célèbre par ses salines, Ta-yao et Yuen-ma, situées toutes trois dans la vallée du Pe-ma ho.
  5. Titre militaire.
  6. Nom de l’empereur actuel. Il est monté sur le trône en 1860.