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proche qu’on puisse leur faire est d’ignorer profondément les intérêts qu’ils sont chargés de défendre.

On se rappelle le cri d’alarme poussé, il y a quelques années, par un écrivain dont la France regrette la mort prématurée. Dans la France nouvelle, M. Prévost Paradol a montré la race anglo-saxonne possédant l’Amérique et l’Océanie et envahissant sans retour le continent asiatique, et notre pays condamné à une irréparable décadence, s’il ne tente un vigoureux effort. Mais cet effort, M. Prévost Paradol le circonscrit, lui aussi, au seul bassin de la Méditerranée. Cédant à cette préoccupation de milieu qui ne veut tenir compte que des races européennes, il supprime d’un trait de plume cinq cents millions d’Indiens ou de Chinois dont il livre sans coup férir le territoire à l’Angleterre ou aux États-Unis. Il semble que ces races fécondes et puissantes soient fatalement destinées à disparaître comme les tribus d’Amérique, que tout ce qui n’est pas européen doive être considéré comme sauvage et traité comme tel.

C’est là une grave méprise : ces civilisations, jadis florissantes, ne sont point si décrépites qu’elles doivent tomber en poussière au seul contact de la race blanche. Elles peuvent se reconstituer à nouveau dans le sens moderne et exercer une influence avec laquelle il faudra compter. Au point de vue économique, les populations si laborieuses de l’extrême Orient pèsent déjà d’un poids énorme dans la balance des échanges et peuvent offrir des remèdes inattendus au mal social qui ronge la vieille Europe. La France ne saurait se condamner à l’abstention sur ce théâtre où s’agite le tiers des habitants de la planète, à ne pas essayer de prendre place sur cet immense marché de consommation et de production. Après les preuves de vitalité qu’a données notre pays, nous n’avons pas le droit de désespérer de son avenir. Il ne nous est permis d’abdiquer nulle part. Plus que jamais, nous devons être présents sur tous les points du globe habité : le monde appartiendra à qui l’étudiera et le connaîtra le mieux.

L’importance et l’excellente situation commerciale de notre colonie de Cochinchine font de Saigon le point central de l’action française dans l’extrême Orient. Les traités conclus avec la cour de Hué assurent d’une manière définitive la prépondérance de notre pavillon et de notre politique sur tout le littoral oriental de l’Indo-Chine et remettent entre nos mains les destinées d’une race intelligente et souple, dont le caractère a de nombreux points de contact avec le nôtre et dont l’assimilation semble devoir être aussi facile qu’elle sera avantageuse. Les Annamites sont doués, à l’instar de la race chinoise, de qualités expansives et colonisatrices excessivement remarquables. Leur prise de possession du Delta du Cambodge date à peine du commencement du siècle, et cette région est aujourd’hui une des mieux cultivées et une des plus riches des mers de Chine : tels sont les pionniers qui peuvent remplacer les colons qui nous manquent et faire rayonner à l’intérieur de la péninsule indo-chinoise notre influence et notre commerce.

Malheureusement les guerres intestines qui ont désolé l’empire d’An-nam sous Gia-long lui ont fait perdre la situation politique qu’il occupait dans la vallée du Cambodge.