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avions l’honneur de presser les mains du vénérable prélat, qui avait quitté la France sous le règne de Charles X.

L’établissement catholique de Long-ki est bien situé et parfaitement entendu au double point de vue de la sécurité et des communications. Placé sur un point culminant et entouré de fortes palissades, il a été respecté jusqu’à présent par toutes les bandes de maraudeurs qui désolent le pays. L’énergie de ceux qui l’habitent et les armes européennes dont ils disposent sont à vrai dire ses défenses les plus solides. Les ours et les léopards sont assez nombreux dans les montagnes de cette partie du Yun-nan. À peu de distance dans l’est-nord-est, sur le versant d’un coteau qui regarde le Houang kiang et que l’on appelle Tchen-phong-chan, sont construits le séminaire et l’école de la mission. Nous les trouvâmes fréquentés par un nombre assez considérable d’élèves. Les jeunes prêtres que l’on envoie de France pour renforcer le personnel de la mission, viennent s’exercer là pendant quelques temps à la gymnastique difficile de la langue chinoise. Dans ce pays malheureux et troublé, ce petit noyau d’hommes instruits et courageux exerce autour de lui une salutaire influence. Avec quelques efforts et quelques encouragements de plus, ils pourraient rendre à la science des services aussi importants que ceux qu’ils rendent à la civilisation. L’un des missionnaires de Long-ki, M. de Chataignon, avait essayé d’installer un observatoire et il avait déterminé par la longueur de l’ombre méridienne, faute de moyens plus précis, la latitude du séminaire. J’ai souvent regretté que des livres et des instruments ne soient pas libéralement mis à la disposition de ces ouvriers de bonne volonté, pour lesquels le travail est une véritable consolation dans le profond isolement où ils vivent. On n’aurait plus lieu alors de s’étonner du peu de notions géographiques que nous possédons sur des contrées où vivent depuis près de deux siècles des missionnaires européens[1].

On me remit à Long-ki une lettre de M. Dabry, consul de France à Han-keou, adressée à M. de Lagrée. M. Dabry avait appris notre entrée en Chine et s’était hâté d’envoyer ses félicitations au chef de la Mission française.

Nous quittâmes nos hôtes le 25 avril. Le P. Leguilcher obtint de monseigneur Ponsot l’autorisation de nous suivre jusqu’à Siu-tcheou fou ; nous rejoignîmes notre barque et notre escorte qui nous attendaient à très-peu de distance de Tchen-phong-chan. Au bout d’une heure et demie de navigation nous arrivâmes à Sin-tan, point où il fallait opérer un premier et très-court transbordement et où vit une population de portefaix et de bateliers. Ce rapide indique la limite des provinces du Se-tchouen et du Yun-nan sur la rive gauche du Houang kiang ; sur la rive droite, la frontière est plus haut, au village de Tong-co-kay. À une demi-heure en barque de Sin-tan, se trouve un second rapide, nommé Kieou-long-lan ou « rapide des neuf dragons », qui a plus d’une demi-lieue de long. Ces rapides sont occasionnés soit par une augmentation subite de la pente du terrain, soit par des

  1. Les excellentes indications que l’on doit à M. l’abbé Desgodins, missionnaire apostolique au Tibet, à la disposition duquel sa famille a mis des instruments d’observation et des livres, prouvent tout le parti que l’on pourrait tirer des loisirs de ces hardis pionniers de la civilisation. C’est avec une bien vive satisfaction que j’ai vu la Société de géographie de Paris accorder à M. l’abbé Desgodins, sur ma proposition, un compteur en récompense de ses travaux géographiques.