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Cette plaine est très-bien cultivée ; le pavot y occupe une large place ; mais les petits ruisseaux qui la traversent ne fournissent pas toujours une quantité d’eau suffisante pour les besoins de l’agriculture.

Le 11 avril, nous fîmes notre entrée à Tchao-tong, chef-lieu du département et résidence ordinaire du tao ou sous-gouverneur de cette partie de la province. Ce haut fonctionnaire était absent ; un deuil récent lui imposait l’obligation de cesser pendant quelque temps ses fonctions publiques ; le fou et le hien nous reçurent à sa place avec beaucoup de cordialité. Il y a à Tchao-tong une petite chrétienté dirigée par un prêtre indigène ; nous logeâmes dans son presbytère. Le soir même de notre arrivée, je reçus de Tong-tchouen une lettre dans laquelle le Yang ta-jen me remerciait de la façon la plus courtoise de la carabine que je lui avais envoyée et me priait d’accepter en échange un de ses chevaux favoris. L’animal avait été conduit à la main de Tong-tchouen à Tchao-tong et arrivait en même temps que la lettre de son maître.

Tchao-tong est une ville fortifiée dont l’enceinte rectangulaire a environ trois kilomètres de tour. C’est une des rares villes du Yun-nan qui n’ont jamais été occupées par les Mahométans. Des faubourgs très-considérables prolongent la ville au nord, à l’est et à l’ouest. Un petit étang très-poissonneux se trouve dans le sud-ouest. Tchao-tong est une des étapes les plus importantes du commerce qui se fait entre la Chine et le Yun-nan. D’énormes convois de coton brut, de cotonnades anglaises ou indigènes, de sel venu du Se-tchouen s’y croisent avec les métaux, l’étain et le zinc surtout, que fournissent les environs de Tong-tchouen, les matières médicinales que l’on tire de l’ouest du Yun-nan et du nord du Tibet et les nids de l’insecte (Coccus Sinensis) qui donne la cire à pe-la. On sait que cet insecte est élevé sur une espèce de troëne qui croît dans les parties montagneuses du Yun-nan et du Se-tchouen, puis transporté sur d’autres arbres favorables à la production de la cire et situés dans des régions plus chaudes. Ces nids doivent faire le voyage avec la plus grande rapidité, pour que les insectes fraîchement éclos ne meurent point avant d’arriver à leur nouveau domicile ; ils sont placés dans de grands paniers divisés en plusieurs compartiments et ceux qui les portent font souvent trente ou quarante lieues au pas de course pour ne pas perdre le fruit de leurs peines.

Il y a, dans les environs de Tchao-tong, une tribu particulière des Miao-tse, que l’on nomme Houan-miao.

Nous partîmes de Tchao-tong le 14 avril. À peu de distance de la ville, un vallon étroit et sinueux se creuse dans la plaine et s’enfonce progressivement entre deux murailles calcaires. Un ruisseau sort de terre et s’augmente à chaque pas de l’apport des cascades qui s’échappent des grottes voisines. À chaque coude de la vallée s’élève un village. Ce pays a été successivement ravagé par les Miao-tse, les Man-tse, les Mahométans, les Tchang-mao et les Ho-liou. Ces deux derniers noms s’appliquent aux bandes de pillards et de gens sans aveu, débris de l’insurrection des Tai-ping, qui, après avoir dévasté les unes le Se-tchouen, les autres le Kouang-si, ont été rejetées dans le Yun-nan. Tous les villages que nous rencontrons ont les apparences les plus navrantes de pauvreté et de désolation. Ceux qui s’échelonnent sur les hauteurs sont tous fortifiés.