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rement par eau. Il me sembla que la colonie de Cochinchine serait heureuse de donner un asile à la dépouille de celui qui venait de lui ouvrir une voie nouvelle et féconde ; qu’elle voudrait consacrer le souvenir de tant de travaux si ardemment poursuivis, de tant de souffrances si noblement supportées.

Le Yang ta-jen avait quitté Tong-tchouen depuis quelques jours pour prendre le commandement de ses troupes. Il avait témoigné jusqu’au dernier moment à M. de Lagrée la déférence la plus sympathique et il avait facilité, par tous les moyens en son pouvoir, la lourde et pénible tâche qu’avait eu à remplir M. Joubert après le décès du chef de l’expédition. J’envoyai au Yang ta-jen une petite carabine Lefaucheux qui ne m’avait pas quitté pendant tout le voyage et qu’il avait fort admirée lors de notre première entrevue et je lui exprimai par lettre notre profonde reconnaissance. Kong ta-lao-ye, qui le remplaçait à Tong-tchouen, m’aida à conclure un marché pour le transport du cercueil de M. de Lagrée à Siu-tcheou fou. Ce transport devait être fait dans un délai maximum de trente jours et moyennant une somme de 120 taels, payable à l’arrivée.

Le 5 avril la petite expédition assista en armes à l’exhumation du corps de son chef ; le tombeau élevé par les soins de M. Joubert fut transformé en cénotaphe et une inscription en français mentionna le triste événement dont ce monument devait conserver le souvenir.

Le 7 avril, nous quittâmes Tong-tchouen[1] pour effectuer définitivement notre retour. Nous étions tous à bout de forces ; la santé de notre escorte surtout était profondément atteinte ; sur les quatorze personnes qui composaient à ce moment l’expédition, il y en avait souvent la moitié malade de la fièvre. Je dus faire voyager quelquefois les Annamites en chaises à porteurs pour ne pas être obligé de ralentir notre marche. Les pluies arrivaient : il fallait nous hâter de sortir de la région montagneuse où nous nous trouvions.

La population de la ville et de la plaine forme une race à part qui se distingue des Chinois proprement dits par sa coiffure et sa prononciation. On a vu dans le chapitre relatif à l’histoire du Yun-nan, que les Tong-tchouen jen avaient conservé longtemps leur indépendance. Les environs de Tong-tchouen sont habités par des Y-kia. La route que nous suivions traverse un plateau d’un aspect moins désolé que la contrée qui sépare Yun-nan de Tong-tchouen et que ravinent quelques vallées pierreuses et peu profondes. Nous fîmes la rencontre d’une caravane de négociants du Kiang-si. Ils viennent chercher dans le sud du Yun-nan un sel de plomb naturel dont le nom chinois est ouan-oua, et qui est employé dans la fabrication de la porcelaine. Les gens du Kiang-si sont les plus voyageurs de la Chine, et la plupart des grandes hôtelleries que l’on rencontre dans les villes ou sur les routes sont tenues par eux.

Le 9 avril, nous traversâmes, à Kiang-ti, le Ngieou-nan, rivière aux eaux profondes et rapides, qui se jette dans le Kin-cha kiang à douze lieues de là et qui draine toute la partie du plateau du Yun-nan comprise entre Siun-tien et Ouei-ning. Un bac est installé à Kiang-ti sur un câble jeté entre les deux rives. Nous entrâmes le surlendemain dans la grande plaine de Tchao-tong, après avoir vu à Ma-tsao-cou des gisements de tourbe et d’anthracite.

  1. Voy. pour la suite du récit la carte itinéraire no 10, Atlas, 1re partie, pl. XIII.