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notre installation dans la principale pagode, Pen-tse-yang vint me rendre visite. Notre voyage à Ta-ly avait donné une haute idée de notre courage ; nos passe-ports de Pékin semblaient témoigner d’une grande situation officielle. Fiers des succès qu’ils avaient obtenus, quoique complètement abandonnés par le pouvoir central, les notables de la contrée sentaient qu’ils avaient bien mérité de l’empereur ; ils se figurèrent que « les grands hommes français » étaient de ses amis et ils m’adressèrent une pétition pour me demander de faire obtenir à Pen-tse-yang les récompenses qu’il avait si bien méritées[1]. Les chrétiens de la localité vinrent également réclamer ma protection : on voulait les forcer à donner de l’argent pour l’entretien des pagodes et du théâtre de la localité. Je n’eus pas de peine à les faire exempter de toute contribution ayant un tel objet. Pen-tse-yang me supplia de rester quelque temps à Sen-o-kay pour m’assurer par moi-même de l’état florissant et de la bonne administration de la contrée, et il me remit à son tour des demandes de récompense pour les chefs placés sous ses ordres. Malgré ses instances, nous repartîmes de Sen-o-kay le lendemain, au bruit de nombreuses salves de mousqueterie. Du haut des hauteurs auxquelles est adossée la ville, nous découvrîmes de nouveau la vallée du fleuve Bleu ; de nombreuses rizières descendent en gradins progressivement élargis jusque sur les bords de l’eau. Nous passâmes le fleuve dans un bac et nous arrivâmes le jour même à Hong-pou-so. Un grand mouvement de troupes se faisait remarquer sur la route. Les Rouges, nous dit-on, reprenaient partout l’offensive ; ils avaient remporté quelques succès dans le centre de la province ; la ville de Tchou-hiong avait été reprise par eux. Leurs victoires étaient dues, ajoutait-on, à la présence dans leurs rangs de soixante-dix Européens bien armés. Notre arrivée dans le Yun-nan était, sans aucun doute, le seul fondement sérieux de ce dernier bruit.

À Hong-pou-so, nous retrouvâmes l’excellent P. Lu, qui ne craignit plus, devant le prestige dont nous revenions entourés, de nous avouer les mauvais traitements que le tsong-ye du village lui avait fait subir, et dont il m’avait dissimulé une partie, lors de notre premier passage. Grâce au concours du P. Leguilcher, je pus adresser une plainte détaillée au mandarin d’Houey-li tcheou. Celui-ci me promit de faire bonne justice et il s’empressa de faire afficher dans la ville l’édit rendu par l’empereur en faveur de la religion chrétienne. M. Thorel alla visiter le gisement de cuivre de Tsin-chouy ho, exploité à quelque distance au nord d’Houey-li tcheou. Cette mine est une de celles qui produisent la qualité particulière de cuivre désignée sous le nom de pe tong ou « cuivre blanc ». J’ai déjà dit, je crois, qu’il y a à Houey-li tcheou des fabriques d’ustensiles de cuivre ; ils se vendent au poids, à raison de deux francs environ le kilogramme. La main-d’œuvre double le prix de la matière première.

Un grand nombre de soldats passaient à Houey-li tcheou venant de Tong-tchouen : nous essayâmes d’en obtenir quelques nouvelles sur la partie de la Commission que nous avions laissée dans cette dernière ville. Les renseignements que l’on nous donna, confus et contradictoires, nous plongèrent dans la plus pénible incertitude. D’après les uns,

  1. Voy. dans l’appendice, à la fin du volume, le texte de cette pièce curieuse.