Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/559

Cette page a été validée par deux contributeurs.
518
DE YUN-NAN À TA-LY.

pêcheurs, groupés en bandes pressées autour de la barque, plongent et reparaissent incessamment avec un poisson au bec. Au fur et à mesure que leur poche se remplit les bateliers la vident à l’intérieur de la barque laissant à peine à chacun de ces pêcheurs ailés de quoi ne pas décourager sa gloutonnerie. Au bout d’une demi-heure la barque est pleine et les bateliers vont vendre leur pêche au marché.

La plaine de Ta-ly contenait jadis plus de cent cinquante villages que le sultan a essayé de repeupler avec des Mahométans. La rive orientale est habitée par des Min-kia et des Pen-ti. On appelle ainsi les descendants des premiers colons chinois que la dynastie mongole envoya dans le Yun-nan, après la conquête de l’ouest de la province par les généraux de Khoubilai Khan (Voy. ci-dessus, p. 478-479). Les Min-kia disent être venus des environs de Nankin. Leurs femmes ne se mutilent pas les pieds et les jeunes gens des deux sexes portent une sorte de bonnet orné de perles d’argent, d’une forme très-originale[1]. Leur costume et leur langage indiquent un mélange très-intime avec les anciennes populations laotiennes et sauvages de la contrée. Ils paraissent cependant avoir conservé une plus forte proportion de sang chinois que les Pen-ti. Ceux-ci sont groupés surtout dans la plaine de Teng-tchouen, au nord de Ta-ly, et dans le district de Pe-yen-hin. Leurs femmes ont conservé un costume particulier. Chez les Pen-ti, le père change de nom à la naissance de son fils aîné. À partir de ce jour, on ne le désigne plus que par le nom de celui-ci. On dit le père d’un tel, la mère d’un tel. Cet usage tend à se répandre chez les Chinois eux-mêmes.

On trouve également à Lang-kiang une population particulière qui porte le nom de Tchong-kia et qui prétend être venue du Kouy-tcheou. Ces premiers émigrants chinois, qui n’ont guère conservé de leur origine qu’un certain degré de civilisation, sont tenus en grand mépris par les Chinois purs. Ceux-ci semblent pousser aussi loin que les créoles de nos Antilles la susceptibilité en matière d’alliance et sont d’une extrême habileté à reconnaître sous le costume chinois un métis de sauvage. Il n’y a guère que les Chinois venus récemment du Se-tchouen qui puissent prétendre dans le Yun-nan à cette pureté de race ; aussi forment-ils presque partout des colonies à part. Une partie de la vallée de Pien-kio a pris le nom de « petit Se-tchouen », à cause du grand nombre d’habitants de cette province qui s’y sont fixés.

Cet antagonisme entre les anciens et les nouveaux Chinois a singulièrement favorisé la révolte des Mahométans. Les Min-kia de la plaine de Ta-ly ont gardé d’abord la neutralité entre les rebelles et les Impériaux. Le concours de cette virile et nombreuse population eût suffi alors pour étouffer le mouvement à son origine. Plus tard, le despotisme et les violences des maîtres de Ta-ly ont exaspéré les Min-kia et ils ont pris les armes sous un chef énergique nommé Tong. Celui-ci a tenu pendant quelque temps la campagne avec succès. Mais son action resta trop isolée et trop locale. Il fut tué en 1865 dans une rencontre. Les vainqueurs poursuivirent sa famille avec une rage dont il y a peu d’exemples.

Le mélange des Chinois, des Laotiens, des Tibétains et des races sauvages qui habitent

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XLIII.