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COMMERCE ET ETHNOGRAPHIE DU NORD DU YUN-NAN.

jusqu’à la porte de la citadelle. Je fis prévenir le commandant du fort que le père venait lui faire la visite qu’il avait réclamée, mais que l’entrevue ne devrait pas durer plus de dix minutes et que nous irions nous-mêmes chercher le père, si au bout de ce temps il n’était pas de retour. Ce langage était une effrayante nouveauté pour des gens habitués à tout voir trembler devant eux. Le commandant du fort se hâta de communiquer au père Leguilcher l’ordre qu’il avait reçu de Ta-ly de nous faire escorter jusqu’à la frontière. Le père fit à cette communication la réponse que nous avions déjà faite au gouverneur de Hiang kouan. Son interlocuteur n’insista plus ; il le pria même d’abréger l’entrevue, de peur, ajouta-t-il, qu’elle ne dépasse le temps fixé et que les « grands hommes » ne s’impatientent. Nous arrivâmes, une heure après, à la résidence du père, où nous prîmes deux jours de repos, nécessités par les fatigues et les émotions précédentes.

Le 7 mars, un nouveau messager du fort pria le père Leguilcher de venir « seul » régler avec le commandant mahométan les étapes de notre route. Nous considérâmes naturellement cette communication comme non avenue ; elle n’avait d’autre but, sans doute, que de s’informer de nos mouvements.

Malgré la rapidité avec laquelle nous avions dû faire le trajet de Ta-ly, je n’en avais pas moins recueilli sur la géographie, le commerce et l’ethnographie de la contrée, quelques renseignements intéressants que je vais résumer ici.

Le lac de Ta-ly, situé à une altitude de plus de 2,000 mètres, mesure environ 36 kilomètres du nord au sud, sur une largeur moyenne de 9 à 10. Sa profondeur est très-considérable : elle dépasse 100 mètres en quelques points. Il paraît y avoir quelques îles dans la partie sud-est. Le lac est à un niveau supérieur à celui des vallées avoisinantes. Il se déverse à son extrémité sud par une rivière qui va se jeter dans le Cambodge. La forteresse de Hia kouan est construite près de l’embouchure de cette rivière qui n’est pas navigable ; son marnage est de 5 mètres, peu après sa sortie du lac, elle se divise en deux bras qui se rejoignent à une certaine distance. La chaîne des monts Tien-tsang, qui borde la rive ouest du lac, produit à sa surface des rafales violentes qui rendent la navigation difficile en hiver. Cette chaîne, dont j’estime l’altitude à 5,000 mètres, est couverte de neige pendant neuf mois de l’année. Sur la rive opposée, s’élèvent des collines irrégulièrement enchevêtrées qui appartiennent à un soulèvement beaucoup moins important.

La profondeur et la limpidité des eaux du lac les rendent propices à la conservation et à la reproduction d’un nombre infini de poissons. Volant çà et là en bandes nombreuses, plongeant à tout instant et se réfugiant avec leur proie dans les îles ou sur les rives, d’innombrables palmipèdes poursuivent sans relâche les habitants des eaux. Ceux-ci sont familiarisés depuis longtemps avec la présence de l’homme. La hardiesse d’allures des poissons et des oiseaux a fait imaginer aux riverains un procédé de pêche bien supérieur à celui que l’on connaît en Europe sous le nom de pêche au cormoran. Les pêcheurs partent de grand matin, et avec quelque tumulte, pour éveiller l’attention des nombreuses bandes d’oiseaux qui sommeillent autour d’eux : ils se jettent dans des barques plates munies d’un réservoir et se laissent aller à la dérive pendant que l’un d’eux, placé à l’avant, émiette sur l’eau d’énormes boulettes de riz. Les poissons accourent en foule et les oiseaux