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RETRAITE PRÉCIPITÉE.

et m’apprit qu’il avait l’ordre de nous reconduire à Hiang kouan dès le lendemain matin. Il me montra en même temps un pli cacheté qu’il devait remettre au mandarin de cette ville. Je mis cet excellent jeune homme dans nos intérêts par des cadeaux, et je convins avec lui de partir au point du jour et d’éviter de traverser la ville. Je craignais que les mauvaises dispositions du sultan étant connues, la foule ne se montrât hostile et que quelques soldats trop zélés n’essayassent d’en profiter pour satisfaire, sans le compromettre, les désirs cachés de leur chef.

Le soir venu, je fis charger les armes, que j’amorçai moi-même avec le plus grand soin. J’indiquai à mes hommes ce qu’ils devaient faire en cas d’alerte ; je m’assurai par des promesses de la fidélité de nos porteurs de bagages.

La nuit se passa dans une attente pénible ; on avait placé une garde à notre porte et l’on nous suivait quand nous sortions. Je redoutais à chaque instant l’arrivée d’un ordre qui contremandât notre départ et transformât notre réclusion momentanée en captivité définitive. Vers onze heures du soir, un des grands mandarins du sultan nous envoya demander quelle route nous comptions prendre pour nous en retourner ; je fis répondre simplement que je l’ignorais. La nuit se passa sans autre accident.

Le lendemain, à cinq heures du matin, nous nous mîmes en route, groupés et bien armés ; nous contournâmes la ville de Ta-ly par le sud et par l’est, et nous franchîmes presque sans arrêt les 32 kilomètres qui nous séparaient de Hiang kouan. Il me tardait d’être en deçà de cette forteresse qui, si on se le rappelle, nous barrait complètement l’issue de la plaine. Au moment où nous allions nous engager sous la première porte de la ville, le chef de notre escorte nous arrêta et nous dit qu’il avait l’ordre, jusqu’à nouvelles instructions du sultan, de nous loger en dedans de ce passage, dans un petit yamen qu’il nous indiqua.

Je fis semblant de prendre pour une offre courtoise ce qui n’était sans doute qu’une séquestration déguisée, et je répondis qu’après l’accueil fait à Ta-ly, il m’était impossible d’accepter l’hospitalité du sultan. Ne voulant pas cependant que cette retraite trop précipitée ressemblât à une fuite, j’ajoutai que si le mandarin de Hiang kouan avait des communications à me faire, j’irais les attendre dans la petite auberge où nous avions logé en venant.

L’officier mahométan objecta la responsabilité grave qu’il assumait en laissant modifier un ordre reçu ; mais j’étais résolu à forcer au besoin le passage avant qu’il eût pu donner l’éveil à la garnison de Hiang kouan et je coupai court à l’entretien en ordonnant à nos porteurs de se remettre en marche. Pendant que mon interlocuteur mettait son cheval au galop pour aller prévenir le gouverneur de la ville du conflit qui venait de s’élever, je fis vivement engager ma petite colonne sous les portes de la forteresse qu’elle franchit sans nouvel obstacle, et quelques minutes après, nous nous trouvions, suivant ma promesse, campés à l’auberge désignée, ayant cette fois la campagne ouverte et libre devant nous.

À peine étions-nous là que le gouverneur de Hiang kouan fit appeler le père Leguilcher ; il lui demanda, de la part du sultan, à acheter un de nos revolvers et il en offrit un