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ARRIVÉE À TA-LY.

Ta-ly, l’un des plus beaux et des plus grandioses paysages qu’il nous ait été donné d’admirer pendant le voyage[1]. Une haute chaîne de montagnes couvertes de neige forme le fond du tableau. À ses pieds, les eaux bleues du lac découpent la plaine en une foule de pointes basses couvertes de jardins et de villages. Une courte descente nous amena sur les bords mêmes du lac, que nous contournâmes par le nord pour passer sur la rive orientale. Les nombreux villages que nous rencontrions portaient les traces les plus cruelles de dévastation. Les cultures seules paraissaient n’avoir nullement souffert et présentaient le plus florissant aspect. À deux heures, nous nous présentions aux portes de la forteresse de Hiang kouan, qui, bâtie sur les bords du lac, au pied même de la montagne, ferme complètement le passage. Le mandarin du lieu nous fit savoir qu’il ne pouvait nous laisser aller plus loin avant l’arrivée de la réponse du sultan.

Nous dûmes nous installer, en attendant, dans une petite auberge située en dehors de la ville. La curiosité de la foule était plus continue et moins importune qu’elle ne l’avait été dans la partie chinoise du Yun-nan déjà traversée. Les quelques chrétiens qui avaient suivi le père Leguilcher, tout tremblants des périls auxquels ce dernier s’exposait de gaieté de cœur en notre compagnie, le tenaient au courant des propos du peuple et tâchaient d’en conclure l’accueil qui nous serait fait. Des rumeurs singulières me parvenaient ainsi à chaque instant, et habitué aux inventions ridicules dont nous avions été souvent le prétexte ou l’objet, je n’y attachais que peu d’importance. On disait qu’il était venu, il y avait peu de temps, à Ta-ly même, seize Européens et quatre Malais qui s’étaient chargés de fabriques des bombes pour le sultan. N’ayant pu réussir à tenir leur promesse, les seize Européens avaient été mis à mort, et les quatre Malais étaient détenus aux fers en attendant un sort pareil. On ajoutait, en nous montrant : « Ceux-là seront sans doute plus habiles. » M. Delaporte, qui avait été se mettre sur une pointe de rocher pour dessiner le panorama du lac, donna lieu à mille commentaires. « Pourquoi prendre, disait-on, l’image de notre pays et de ses montagnes, si ce n’est pour en faire plus facilement la conquête ? »

Pour ne pas aggraver ces soupçons naissants, je dus mettre une sourdine à mes questions et prendre les précautions les plus grandes pour obtenir les renseignements géographiques et politiques qui m’étaient indispensables.

Le lendemain, à quatre heures du soir, la réponse de Ta-ly arriva enfin : elle était favorable. Le mandarin de Hiang kouan s’excusa, en nous la remettant, de nous avoir retenus. Cette politesse nous parut de bon augure.

Le 2 mars au matin, nous nous remîmes en route. Nous traversâmes Hiang kouan, dont les murs baignent d’un côté dans les eaux du lac et vont de l’autre escalader les flancs de la montagne, qui sont à pic et rendent cet étroit défilé excessivement facile à défendre. Au delà, la rive du lac s’épanouit de nouveau en une magnifique plaine au milieu de laquelle est située la ville de Ta-ly. À la pointe sud du lac, la montagne revient rejoindre le bord de l’eau et y ménage un second défilé, défendu également par une forteresse, celle de Hia kouan. Hia kouan et Hiang kouan sont les deux véritables portes

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XLII.