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DE YUN-NAN À TA-LY.

d’un ton très-ferme l’ordre du départ ; ses soldats se rangèrent respectueusement sur notre passage.

La neige nous prit en route. Nous quittâmes les bords du Pe-ma ho pour suivre une petite vallée qui s’élevait rapidement au milieu de petites chaînes de collines à sommets arrondis. Aux carrefours de la route, s’élevaient parfois de hautes poternes où se balançait tristement un cadavre, pendant que, vis-à-vis, quelques têtes humaines se dressaient à l’extrémité d’un bambou. Quelques sauvages lissous, vêtus de peaux de mouton, erraient çà et là sur les pentes leur arc à la main, à la recherche du chevrotin musqué. Après une très-longue et très-pénible marche, nous arrivâmes à Pe-you-ti, misérable village construit sur les hauteurs qui bordaient le vallon. Ses maisons basses et mal construites étaient couvertes, en guise de tuiles, de planches disjointes, assujetties par de grosses pierres, qui laissaient filtrer la neige fondue. Il nous fut difficile de trouver une place sèche pour dormir. Quant au chef mahométan dont la présence m’avait été annoncée, il ne parut pas : il se contenta de nous envoyer une chèvre et des œufs ; je lui fis tenir en échange deux piastres, un couteau et des aiguilles.

Nous continuâmes le lendemain à remonter la vallée qui devenait de plus en plus étroite : ce n’était plus qu’une sorte de berceau creusé sur les flancs de la chaîne au sommet de laquelle nous arrivions. Au point où nous la franchîmes, elle avait près de 3,000 mètres d’altitude. Le versant opposé appartenait au bassin de la rivière de Pe-yen-tsin, que nous traversâmes le lendemain ; ses eaux rougeâtres étaient assez profondes pour permettre une navigation facile. Nous quittâmes presque immédiatement cette vallée pour prendre celle d’un affluent de la rive gauche, au fond de laquelle coulait un torrent aux eaux claires qui étageait ses cascades à perte de vue dans la direction du sud-ouest. Nous remontâmes son cours par une route en corniche des plus pittoresques, et nous ne tardâmes pas à arriver au point où il se bifurquait en une infinité de petits ruisseaux qui sourdaient de terre dans toutes les directions. Des faisans, hôtes tranquilles de ces vallées solitaires, se promenaient gravement sur la neige. M. Delaporte abattit l’un d’eux d’un coup de fusil et nous restâmes émerveillés de ses riches couleurs. Il appartenait à l’espèce connue des zoologistes sous le nom de Poule du Yun-nan ou faisan de lady Amherst ; elle est très-commune dans cette région. À quelque distance de là, nous franchîmes une nouvelle ligne de partage des eaux. Un petit poste de soldats était placé au col même, et nous nous réchauffâmes quelque temps à leur foyer. La plaine de Pin-tchouen, qui s’ouvrait à nos pieds, offrait les traces de dévastation les plus affligeantes. Au pied de chacun des contre-forts qui en dessinent les contours, s’élevaient jadis de nombreux villages qui miraient coquettement leurs maisons blanches dans les rizières du centre de la plaine. Ces villages n’étaient plus que des monceaux de ruines, où, çà et là, quelque charpente neuve commençait à s’échafauder sur des pans de murs noircis. De la paille étendue à la hâte remplaçait les tuiles des toits effondrés. La route était jonchée de débris. Les habitants se fortifiaient au milieu des ruines de leurs demeures et construisaient autour de chaque hameau des enceintes en terre, défendues par des chevaux de frise faits avec de jeunes pins appointés et non ébranchés. La ville de Pin-tchouen, qui