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DÉPART POUR MA-CHANG.

Dans cette occurrence, ajoutait le P. Lu, je n’ose rester dans le pays et je pars pour Ming-yuen fou, en regrettant de ne plus pouvoir vous être d’aucun secours. »

Ce brusque adieu me stupéfia, et je ne pus tout d’abord en deviner la cause. Je me fis conduire chez le jeune prêtre que je trouvai tout en larmes. L’invasion prochaine de sa chrétienté était, me dit-il, le seul sujet de ses frayeurs et de son chagrin. Je m’efforçai de le ramener et de le décider à nous accompagner à Ma-chang. Il m’objecta que le temps était venu de faire sa tournée pastorale et que, s’il la différait encore, le mauvais temps viendrait qui la rendrait impossible. Je lui promis d’écrire à son évêque ; mais je m’aperçus bientôt que la raison qu’il donnait pour se séparer de nous n’était pas la véritable : il finit par m’avouer que, la veille, il avait eu une altercation très-vive avec le chef du village : celui-ci lui avait vivement reproché de se faire l’interprète d’étrangers que tout bon Chinois devait haïr, et le jeune prêtre n’osait plus s’exposer à une pareille scène. Je lui représentai que nous étions les hôtes officiels de la Chine, que nous avions des passe-ports dont mieux que personne il pouvait apprécier la valeur, et que si on se permettait devant nous une pareille incartade, je saurais en faire punir les auteurs. À ce moment arriva une lettre du P. Leguilcher, confirmant le projet d’attaque attribué aux Mahométans de Yun-pe, mais conseillant au P. Lu de rester à son poste. Ce conseil et le désir de nous être utile triomphèrent de ses frayeurs. Nous partîmes tous ensemble pour Ma-chang.

Après avoir traversé en bac le Ya-long kiang, nous suivîmes la rive gauche du fleuve Bleu, dont le cours sinueux s’encaisse peu à peu à partir de ce point. Il conserve cependant de belles apparences de navigabilité : d’après les renseignements que je recueillis de Ma-chang à Hong-pou-so et même un peu au-dessous, la circulation par barques serait très-facile. Au delà, on est arrêté par un rapide très-considérable, presque une chute. En définitive, le fleuve Bleu n’est utilisé entre Li-kiang et Mong-kou qu’au transport des pièces de bois coupées dans les forêts des environs de la première de ces deux villes ; encore faut-il défaire les radeaux pour leur faire franchir les passages dangereux où les pièces de bois se brisent quelquefois.

Un peu avant d’arriver à Ma-chang, nous visitâmes sur les bords mêmes du fleuve des galeries pratiquées pour l’extraction du charbon. Elles sont creusées dans des couches de grès schisteux, à quelques mètres au-dessus du niveau de l’eau, et les infiltrations qui s’y produisent exigent un travail d’épuisement continu. Le charbon extrait est d’un aspect huileux et brillant, mais il est tellement friable et donne une proportion de poussier si considérable, qu’on est obligé de le transformer en coke. On se sert pour cela d’un fourneau à deux orifices : au centre, on place du charbon en gros morceaux ; on garnit le pourtour de poussier, on mouille le tout, puis on met le feu en dessous. La transformation en coke est complète quand le fourneau cesse d’émettre de la fumée. Le coke s’appelle toan tan en chinois ; il se paye, sur les lieux, un franc environ les cent kilogrammes ; le charbon naturel vaut moitié moins. Il y a dans la montagne, à peu de distance de Ma-chang, d’autres galeries d’extraction que M. Thorel alla visiter. Elles ont une étendue très-considérable ; le charbon est de meilleure qualité et il n’y a pas d’infiltration. Nulle part nous n’avons entendu parler d’accidents occasionnés par le feu grisou.