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DE YUN-NAN À TA-LY.

fallait nous laisser surprendre à aucun prix, au milieu de ces montagnes, par les pluies du printemps.

Le 3 février, nous franchîmes le point le plus élevé que nous ayons atteint pendant tout le voyage. Le baromètre indiqua une altitude de plus de 3,000 mètres. Nous arrivâmes le soir au village de Tsang-hi-pa, situé dans le repli d’un vallon au confluent de deux rivières. Un linceul de neige recouvrait tout le paysage qui, malgré le mauvais temps, était fort animé ; de longues caravanes de bêtes de somme se disputaient les hôtelleries. À Tsang-hi-pa quelques chrétiens vinrent à nous et se firent connaître par le signe de la croix.

À partir de l’étape suivante, nommée Tchang-tcheou, le pays offrit un aspect moins sauvage, les pentes devinrent moins abruptes et plus cultivables. La large et belle vallée où s’élève la ville d’Houey-li tcheou s’ouvrit devant nous. La circulation devenait excessivement active : nous croisions à chaque instant des convois de sel, de charbon, de pelleteries, de cuivre, de matières tinctoriales et médicinales ; dans le même sens que nous cheminaient des caravanes chargées de coton et de cotonnades. Houey-li tcheou nous apparut de loin alignant ses toits rouges sur les bords admirablement cultivés d’une jolie rivière qui coule au sud. Du côté du nord, une haute montagne étalait au soleil sa croupe de neige sur laquelle se détachait la silhouette des créneaux et des clochetons de la ville. Deux hommes à chapeaux rouges envoyés par le mandarin du lieu se présentèrent à nous à notre arrivée dans les faubourgs. Ils nous firent traverser la ville du sud au nord et nous conduisirent dans une grande hôtellerie située dans le faubourg opposé. Les réjouissances du jour de l’an duraient encore, mais grâce au va-et-vient des caravanes de marchands, la ville conservait les apparences d’un marché de premier ordre. C’est à la fois un entrepôt considérable de marchandises, et un lieu de fabrication pour les objets de sellerie, de harnachement de voyage et les ustensiles de cuivre. Il y a des mines de cuivre dans les environs.

Le mandarin de Houey-li tcheou nous envoya quelques présents et je lui fis le lendemain une visite. La difficulté de se comprendre abrégea notre entretien. Je laissai entrevoir mon intention de pénétrer sur le territoire mahométan. Mon hôte essaya de m’en dissuader en me faisant le tableau le plus sombre des dangers auxquels je m’exposerais. Il était impossible de s’engager définitivement dans un pays inconnu et peut-être ennemi sans avoir des renseignements sérieux et précis sur l’état de la contrée et la situation respective des parties belligérantes. Mon inexpérience de la langue m’empêchait de les obtenir ; dans tous les cas je devais me défier des informations que me donnaient les autorités chinoises. Le P. Fenouil m’avait signalé la présence à Ma-chang, petite localité située près du confluent du Kin-cha kiang et de la grande rivière qui sur nos cartes porte le nom de Ya-long kiang, d’un prêtre catholique chinois nommé Lu. Je lui expédiai un courrier pour le prier, au nom de son évêque, de vouloir bien s’aboucher avec nous à Hong-pou-so, point vers lequel j’allais me diriger. La langue latine était entre lui et moi un moyen de communication plus à ma portée que le chinois. Je renvoyai en même temps les porteurs qui nous avaient accompagnés depuis Tong-tchouen et je remis à l’un d’entre eux une lettre pour le commandant de Lagrée.