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UNE PARTIE DE LA COMMISSION PART POUR TA-LY.

« M. Garnier partira le 30 janvier, accompagné de MM. Delaporte, Thorel et De Carné et de cinq hommes de l’escorte. Il se dirigera vers le confluent du King-cha kiang et du Pe-chouy kiang, où il recueillera en même temps que les renseignements commerciaux et géographiques, toutes les indications de nature à l’éclairer sur la situation du pays musulman de l’Ouest. Suivant la nature de ces indications, M. Garnier se décidera à avancer sur Ta-ly ou sur Li-kiang après en avoir demandé l’autorisation par lettre. Le but de cette partie du voyage serait de préciser le plus possible tout ce qui est relatif au Lan-tsang kiang (Cambodge), à ses origines, à sa navigabilité. Dans tous les cas, M. Garnier devra être de retour à Siu-tcheou fou à la fin d’avril au plus tard. »

« Si à un moment quelconque du voyage, M. Garnier pensait pouvoir atteindre seulement un point quel qu’il fût du Mékong, il le ferait seul et de la manière la plus prompte possible. »

Je ne me doutais pas que la signature que M. de Lagrée apposa le 28 janvier au bas de ces instructions, était son dernier acte comme chef de l’expédition. Le docteur Joubert, le matelot Morello et trois Annamites restaient auprès de lui. En échangeant avec nous une dernière poignée de main, il nous donna rendez-vous à Siu-tcheou fou où il devait s’acheminer, dès son rétablissement, pour aller faire préparer les barques nécessaires à notre retour.

Le jour de l’an chinois était arrivé le 25 janvier. On sait avec quelle solennité se célèbre en Chine cette fête annuelle. La vie commerciale reste interrompue pendant plusieurs jours ; et les autels domestiques, richement décorés, voient se réunir devant eux en d’intimes festins les membres de chaque famille ; les jeux publics, les feux d’artifice, les réjouissances bruyantes succèdent plus ou moins longtemps à ce recueillement intérieur. Dans de telles circonstances, nous eûmes quelque peine à trouver des porteurs : nos bagages, réduits au strict nécessaire, ne nécessitaient heureusement que peu de monde ; neuf hommes nous suffisaient au lieu de vingt-cinq ou trente. Nous finîmes par les trouver, grâce à l’intervention du Yang ta-jen et à la promesse d’une bonne récompense. Nous étions en nombre égal : quatre officiers, deux tagals et trois Annamites, tous bien armés, assez bien portants et résolus. Nous nous mîmes en route le 30 janvier, profondément attristés de l’état où nous laissions M. de Lagrée, mais ayant encore bon espoir en son rétablissement.

En sortant de la vallée de Tong-tchouen, on traverse une petite plaine bien cultivée, où le lit d’un torrent puissamment endigué forme une sorte de chaussée élevée de deux ou trois mètres au-dessus du sol. Des flancs de cette chaussée partent de nombreux canaux qui distribuent l’eau dans les champs. La patiente industrie du laboureur a transformé ici, encore une fois, une force stérilisante et dévastatrice en une cause de fécondité et de richesse. L’aspect de cette plaine repose agréablement la vue. Les colzas y mêlent leurs grappes jaunes aux corolles solitaires, blanches ou pourpres, des pavots. Du col qui la ferme, on aperçoit un profond sillon dans la mer de montagnes qui ondule à l’horizon. C’est la vallée du fleuve Bleu qui s’appelle ici le Kin-cha kiang ou « Fleuve au sable d’or ». Nous descendîmes sur les flancs de montagnes schisteuses inclinées à 45° degrés. Des