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DE YUN-NAN À TA-LY.

là de longues traînées de neige que ne peuvent fondre les rayons affaiblis du soleil.

Nous rencontrâmes le soir même un petit mandarin envoyé avec une escorte à notre rencontre par le commandant militaire de Tong-tchouen. Il procura un palanquin à M. de Lagrée dont le malaise persistait toujours. Nous franchîmes le lendemain un col élevé sur lequel le baromètre indiqua 533 millimètres. À très-peu de distance, sur notre gauche, s’élevait un pic couronné de neige dont l’altitude devait être peu inférieure à 4,000 mètres. Des crevasses larges et profondes, semblables à d’immenses tranchées, sillonnaient de tous côtés le plateau qui s’abaissait légèrement dans la direction du nord. Nous descendîmes au fond d’un de ces ravins à parois verticales, qui servent au printemps de canaux de drainage pour les eaux des pluies, et nous arrivâmes au bourg de Tay-phon, marché considérable, dont les boutiques étaient magnifiquement approvisionnées, en raison de l’approche du jour de l’an chinois. Une population de l’aspect le plus mélangé et le plus pittoresque était accourue des montagnes avoisinantes et s’empressait devant les étalages. L’auberge du lieu était pavoisée en notre honneur. Tay-phon est situé sur les bords d’un ruisseau qui devient un peu plus loin la rivière de Tong-tchouen. Le 18 janvier, après avoir fait encore quelques kilomètres à pied, nous pûmes monter dans deux grandes barques et descendre rapidement le courant, pendant que nos bagages cheminaient à dos d’homme, le long de la route en corniche qui se suspend aux flancs de la vallée. Les eaux étaient basses et les rapides fréquents ; nos embarcations à fond plat, dont l’équipage se mettait à l’eau, glissaient facilement sur les cailloux. Malgré l’absence de fatigue et la rapidité de notre marche, l’affreux paysage que nous avions sous les yeux nous fit trouver bien longues les huit heures de navigation qui nous séparaient de Tong-tchouen. Deux murailles de roches rougeâtres, stériles, ravinées par les pluies, sans un arbre, sans un brin d’herbe, limitaient de tous côtés nos regards. Pas un nuage ne venait tempérer l’éclat de la lumière ; le ciel était d’un bleu clair d’une uniformité désespérante. Un vent du sud-sud-ouest soufflait par rafales intermittentes et produisait en s’engageant dans les détours de la vallée un bruit strident et lugubre. Çà et là, quelques maisons de pêcheurs, dont des cailloux non cimentés, amoncelés les uns sur les autres, composaient les murs. C’est bien ainsi qu’on se représente un pays dans les veines duquel coule du cuivre et qui remplace les fruits de la terre par les produits métallurgiques.

Vers quatre heures, nous entrâmes dans un canal latéral qui dérive vers Tong-tchouen une partie des eaux de la rivière. Les montagnes aux croupes dénudées s’éloignèrent pour former un vaste cercle ; une grande plaine s’ouvrit devant nous ; les cultures reparurent et la ville de Tong-tchouen nous montra sa couronne rectangulaire de créneaux. Nous traversâmes un faubourg en partie ruiné où de nombreux ponts de pierre nous forçaient à chaque instant à baisser la tête. La nuit était déjà venue quand nous entrâmes dans la pagode où un logement nous était préparé. Elle était située à l’intérieur même de l’enceinte, mais des ordres sévères avaient été donnés pour que notre repos ne fût pas troublé ; de vastes cours et des portes solides nous séparaient de l’extérieur. L’existence que nous menions depuis deux ans, était de nature à nous faire apprécier le calme