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ESSAI HISTORIQUE SUR LE NORD DE L’INDO-CHINE.

table déroute. Elle était dirigée par le Kromaluong[1], c’est-à-dire par le ministre de la guerre, commandant en chef de toutes les forces militaires de Siam. L’armée siamoise fut concentrée à Muong Nan, et se mit en route sur Xieng Hai, au mois de janvier. En ce point, elle se partagea en deux corps : l’un, sous le commandement de Chao Phayat Yomerat, s’avança directement sur Xieng Tong ; l’autre, sous les ordres du Kromaluong, prit la route que nous avions suivie nous-mêmes, et par Paleo, Muong Yong et Muong You, essaya de tourner Xieng Tong. Mais la population s’était retirée devant les envahisseurs, le riz que l’on n’avait pu emporter avait été brûlé, et dans chaque localité l’armée siamoise ne rencontra que des défenseurs qui se retiraient devant elle, en défendant pied à pied tous les passages des montagnes. Les éléphants et les buffles employés au transport des bagages et des vivres étaient insuffisants, et le Kromaluong dut recourir aux Lus de Xieng Hong pour en obtenir des approvisionnements et des porteurs. Malgré toutes ces difficultés, l’armée siamoise arriva enfin sous les murs de Xieng Tong, le 26 avril. La ville était défendue par trois mille hommes environ de troupes birmanes, sept mille Laotiens et six mille hommes appartenant aux tribus sauvages des environs. Les Siamois ouvrirent un feu de mortiers qui ne causa aucun mal à la ville : on voyait venir de loin les projectiles, et on les évitait. Au bout de vingt et un jours, les assiégeants n’avaient fait aucun progrès ; les pluies arrivaient et menaçaient de rendre toute retraite impossible. Une épidémie décimait les éléphants et les buffles. Le 17 mai, le Kromaluong leva le siège et commença à battre en retraite. Les Siamois furent poursuivis par les sauvages, qui en tuèrent un grand nombre dans les défilés des montagnes ; beaucoup moururent de faim et de misère à Paleo et à Siemlap ; de nombreux trophées restèrent entre les mains des vainqueurs, entre autres un cabriolet à deux roues de provenance européenne, qui appartenait au Kromaluong lui-même et que M. de Lagrée a retrouvé soigneusement conservé à Xieng Tong, un mortier de fabrication anglaise et beaucoup d’armes de tous genres.

La guerre continua dans le royaume de Xieng Hong où, depuis le commencement du siècle, la jalousie des Birmans et des Chinois entretenait des prétentions rivales. Chacun de ces deux pays a toujours eu l’habitude de conserver comme otage quelque membre de la famille royale de Xieng Hong, auquel on fournit, le cas échéant, le moyen de monter sur le trône. En 1846, un frère du roi Chao Phoung, alors régnant, reçut, après un long séjour à la cour d’Ava, le titre d’Ouparaja et certains droits sur les salines de Muong Phong. Ces droits furent une cause de mésintelligence constante entre lui et Maha Say, gouverneur de cette ville ; cependant les deux princes se réunirent pour combattre Chao No Kham, cousin de Chao Phoung et candidat chinois au trône de Chip Song Panna, qui était soutenu par Muong La et une partie des provinces de la rive gauche du Mékong. Chao No Kham obtint d’abord quelques succès, mais il fut définitivement vaincu par Chao Phoung. L’Ouparaja et Maha Say allèrent ensemble à Bankok en 1851 pour pro-

  1. Voy. dans le Journal de Mac-Leod, Parliamentary Papers pour 1869, p. 72, la succession assez compliquée des différents princes de Xieng Hong depuis le milieu du siècle dernier.