Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/510

Cette page a été validée par deux contributeurs.
469
ORIGINE COMMUNE DES ANNAMITES ET DES LAOTIENS.

Elle était destinée sans doute à préserver le royaume d’Au-lac des invasions des So’n-tinh.

L’empereur de Chine[1] fut jaloux de la puissance de Yen-dreuong et des richesses du pays des Youe. Il forma une armée « de tous les vagabonds, de tous les marchands, de tous les gens qui ne trouvaient pas à se marier », et en donna le commandement au général Do-thuy. Celui-ci fut tué après avoir remporté quelques succès. Il fut remplacé par les généraux Gin-ngao et Tchao-to[2]. Le premier succomba à une maladie. Le second résolut de profiter des guerres qui amenèrent la chute de la dynastie Thsin et l’avènement des Han pour se rendre indépendant dans le sud de l’empire. Il offrit la paix au roi Yen-dreuong, qui lui céda tous les territoires situés au nord du fleuve Thien-duc. Le fils de Tchao-to entra dans les gardes de Yen-dreuong et épousa sa fille Mi-chan. Peu de temps après, Tchao-to, fort du concours des deux époux, jeta le masque et détrôna Yen-dreuong qui s’enfuit à Canton (207 av. J.-C.)[3]. Tchao-to s’empara l’année suivante du Lin-y et de la région que les auteurs annamites désignent sous le nom de Tuong-quan, dans les montagnes du sud-ouest[4]. Il prit le titre de Ou-ouang, et rendit à ses états leur ancien nom de Nan-youe. En 197, il nomma deux chefs : « l’un, seigneur de Giao-chi ; l’autre, seigneur de Cu’u-chan, deux territoires qui étaient notre vrai An-nam[5] », disent les annales Tong-kinoises. En 185, il fit la guerre au roi de Tru’o’ng-sha, que soutenait l’impératrice Lin-heou. À la mort de celle-ci (179), Tchao-to fit une incursion dans la province chinoise du Hou-nan. L’empereur Hiao-ouen-té lui envoya le lettré Lou-kia, qui lui rappela que les tombeaux de ses pères reposaient sur la terre de Chine, et qui lui offrit la confirmation de ses titres, s’il consentait à se reconnaître vassal de l’empire. Tchao-to accepta et, à partir de ce moment, la paix régna sur les deux frontières.

Tchao-to mourut en 136, après un règne de 71 ans. Son petit-fils, Tchao-hou, lui succéda.

  1. Thsin-chi-hoang-ti, le destructeur des livres et le constructeur de la grande muraille. Il régna de 246 à 209 avant Jésus-Christ.
  2. Là le récit des annales annamites est contrôlé par l’histoire chinoise. (Cf. P. Legrand, op. cit., p. 21 et suiv., et de Mailla, Histoire générale de la Chine, t. II, p. 510 et 543.) Les transcriptions annamites des noms des deux généraux chinois sont Nham-Ngao et Trieu-da. Dans la Notice historique du P. Gaubil sur la Cochinchine, il est dit, page 3, que Tchao-to avait été gouverneur de Canton. Cette notice, qui m’avait échappé au moment de la rédaction de l’Essai historique sur le Cambodge, m’apporte une preuve de plus en faveur de l’identification que j’ai faite du Fou-nan et du Cambodge. Il y est dit, page 7, que l’arrière-petit-fils de Fan guen, roi de Lin-y (voy. ci-dessus, p. 118, n. 3), nommé Fan-ouen-ti, fut tué par Tang-ken-tchun, fils du roi de Fou-nan, « aujourd’hui Cambodge », ajoute le savant missionnaire. Fan-ouen-ti me paraît être le Phan-ho-dat des annales annamites, mais elles attribuent sa mort au gouverneur du Kiao-tchi (A. D. 413). Voy. ci-dessus, p. 119, n. 2.
  3. Voyez dans Marini ou le P. Legrand la légende par laquelle les Tong-kinois expliquent la chute de Yen-dreuong et le touchant récit qu’ils font du repentir et de la mort de sa fille.
  4. Je crois que c’est le pays que les Chinois désignaient autrefois sous le nom de Siang-kiun et qui occupait l’extrémité ouest du territoire de la province de Canton.
  5. Il est possible, par la comparaison des indications fournies par les historiens chinois et les livres annamites, de déterminer exactement la situation de ces deux territoires. Le Kiao-tchi occupait à cette époque toute la partie sud-ouest du Kouang-si depuis Tchin-ngan au nord jusqu’à Se-ming au sud ; le Cu’u-chan (en chinois Kieou-tchin), se trouvait plus à l’est, à l’emplacement du département actuel de Nan-ning. Ti-nan limitait au nord ces deux provinces et s’étendait jusqu’à King-yuen fou.