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papa proclamé empereur. Ce fut alors que Ma-hien, qui s’était distingué à plusieurs reprises dans les combats contre les Mahométans, prit le commandement des troupes chinoises, pénétra dans le Yun-nan où il installa le Lao ta-jen, nommé vice-roi en remplacement de Pang, et fit rentrer dans l’ombre ce souverain d’un jour (1861). Nommé titai, c’est-à-dire général en chef de toutes les troupes de la province, le Ma ta-jen a essayé de rétablir partout l’autorité de Pékin ; mais dans le sud de la province, le Leang ta-jen s’est toujours refusé à obéir à ses ordres, et les troupes de ces deux rivaux en sont venues aux mains près de Kouang-si-tcheou. Le Ma ta-jen avait même été un instant retenu prisonnier dans Lin-ngan, où il était venu pour faire reconnaître un commandant militaire nommé par Pékin, et il avait dû recourir à la prière pour obtenir sa liberté. C’est à ce moment qu’il était allé chasser les Mahométans de Yun-nan. Profitant de ces discordes, les Mahométans ont repris leur œuvre de conquête, et, après s’être solidement fortifiés dans Ta-ly devenue leur capitale, ils ont avancé lentement, mais sûrement, consolidant leur autorité dans les pays annexés avant de faire de nouvelles entreprises, enrôlant de gré ou de force les populations dans leurs armées, et ayant la précaution de faire combattre toujours loin de leur pays d’origine les soldats ainsi levés. Aussi la partie chinoise de l’armée mahométane, de beaucoup la plus nombreuse, pille, vole, brûle et ravage sans scrupule. Tou-uen-sie avait pris le titre de roi le premier jour de l’année chinoise (5 février 1867).

Au moment où nous étions à Kiang-tchouen, la ville de Tchou-hiong était investie par eux. Sin-king, située à l’ouest et à peu de distance de Kiang-tchouen, était entre leurs mains. Nous apprenions à chaque instant les progrès que faisaient leurs armées. Elles n’étaient plus qu’à onze lieues au nord et à neuf lieues à l’ouest de Yun-nan. Le gouvernement de Pékin ne paraissait guère se préoccuper d’une province qui depuis dix ans ne lui avait fait parvenir aucun impôt, et il s’en remettait à l’énergie du Ma ti-tai et à l’habileté du Tsen fan-tai, grand trésorier de la province, qui résidait à Kiu-tsing et à qui l’on devait de nombreux et intelligents efforts de réorganisation des troupes chinoises.

Nous quittâmes Kiang-tchouen le 20 décembre. À peu de distance de la ville s’offrait un lugubre spectacle. Sur toute l’étendue d’une plaine inculte qui allait mourir en pente douce sur les bords du lac, de nombreux cercueils, posés sur le sol, attendaient une sépulture que les bras des vivants semblaient impuissants à leur donner. Là, comme dans le sud de la province, une épidémie de choléra s’était abattue sur la contrée avec un degré d’intensité qui avait frappé la population d’épouvante. D’après les superstitions locales, il fallait attendre des jours plus favorables pour ensevelir les victimes. Les bières chinoises sont heureusement mieux closes que les nôtres, et, c’est à peine si de cet amoncellement de cadavres, s’échappaient de temps à autre quelques miasmes putrides. Ce fut avec un véritable soulagement que nous quittâmes ce champ funèbre ; nous franchîmes peu après un col élevé de 2,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, et de 400 à 500 mètres au-dessus du niveau des lacs. On découvrait de là un panorama magnifique : dans l’est la vaste étendue du lac de Tchin-kiang ; au sud, la plaine et la ville de Kiang-tchouen, et au nord, à l’extrémité des vallées étroites et bien cultivées qui descen-