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d’eau sont comme suspendus au-dessus de la plaine et leur élévation facilite l’irrigation des rizières avoisinantes. En quelques endroits, les talus des rizières sont eux-mêmes construits en pierre. On ne saurait s’empêcher d’admirer tant d’ingéniosité et de prévoyance, et l’on regrette de ne pas les retrouver à un degré égal dans les pays plus civilisés. L’immense quantité de terrain que stérilisent les cailloux arrachés des pentes des Alpes ou des Cévennes par les affluents du Rhône et la plaine de la Crau sont un attristant exemple de notre impuissance à égaler l’agriculture chinoise. Si, comme les Chinois, nous savions endiguer nos rivières, nous ne verrions pas leur lit occuper un espace centuple de celui qui lui est nécessaire, et des inondations de cailloux détruire les moissons, comme il arrive parfois dans le Gard ou l’Ardèche.

Le lac de Che-pin, sur les bords duquel nous arrivâmes dans l’après-midi a environ 14 kilomètres de longueur et sa direction générale est l’est-sud-est. Nous nous embarquâmes dans une grande chaloupe, pendant qu’une partie de nos porteurs continuaient leur route par terre et suivaient la rive nord du lac, que nous côtoyions à peu de distance. Une ligne continue de montagnes entoure le lac de toutes parts et forme dans le sud une série de golfes où la nappe d’azur se prolonge en lointaines perspectives. Des routes nombreuses serpentent sur les croupes nues et rougeâtres des promontoires qui découpent la rive méridionale. Au bout de trois heures de navigation, nous arrivâmes à Che-pin. C’était jour de grand marché[1]. Une quantité innombrable de barques sillonnaient dans tous les sens les eaux du lac, et ramenaient à leurs villages les sauvages des environs venus à la ville pour vendre leurs denrées. De ce côté les rives du lac sont cultivées en rizières. L’industrie des agriculteurs a conquis sur les eaux un espace considérable et la surface inondée des rizières, encadrée de minces talus, vient se marier et se confondre avec le calme miroir des eaux. De longues chaussées s’avancent perpendiculairement aux rives, et offrent un point de débarquement commode aux marchandises et aux voyageurs. Deux petites îles couvertes de verdure surgissent de l’eau où elles mirent les toits courbes et les clochetons élancés des pagodes qui les couronnent. Coquettement assise sur les bords de l’eau, Che-pin arrondit autour de ses maisons pressées sa blanche enceinte de pierre. Derrière la ville, s’étend une vaste plaine admirablement cultivée. L’intérieur de Che-pin présente un plus confortable aspect que les villes que nous avions visitées jusqu’à présent ; on n’y trouve ni ruines, ni maisons abandonnées, et les pittoresques costumes des populations mixtes qui habitent son voisinage donnent à ses rues, entièrement pavées en marbre, une physionomie vivante et originale. Aux races Lolo et Pa-y que j’ai déjà décrites se joignaient quelques sauvages petits et noirs appelés Poula que l’on ne retrouve en grand nombre que sur le territoire de Yuen-kiang.

Je remarquai au marché de Che-pin du fer qui venait de mines situées à peu de distance dans le nord et qui se vendait environ trois sous la livre ; des poteries venant de Ning-tcheou et qui remplissaient d’immenses magasins ; du soufre venant d’Ho-mitcheou, ville située à l’est de Lin-ngan ; du thé, venant de Pou-eul, qui se vend par pa-

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXXVII.