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de pierre de Bien-hoa. Les Cambodgiens lui donnent le nom de bai kriem « riz grillé » en raison de sa couleur et de son apparence agglutinée. Elle est extrêmement répandue dans toute la vallée du fleuve.

À trente kilomètres dans l’est d’Angcor, aux approches du village de Ben, elle apparaît à fleur du sol, et forme dans cette direction des bancs énormes de dix à quinze kilomètres d’étendue. Elle offre de nombreuses variétés tant sous le rapport du mode d’agglomération que sous celui de la couleur. En général, les constructeurs semblent avoir préféré les pierres à couleur jaunâtre et à gros gravier. Le Bai kriem est employé à la construction des chaussées, des murs d’enceinte des édifices grossiers, et sert comme remplissage intérieur dans les substructions et dans les grands massifs des monuments principaux.

2o Le grès. — Les grès gris ou légèrement rosés, en usage dans l’ancienne architecture cambodgienne, sont d’un grain fin qui les rend susceptibles d’un poli parfait. Comme tous les grès, ils sont tendres à la taille en carrière et durcissent à l’air, mais pas assez pour résister à l’action alternative de la pluie et de la sécheresse, qui les effrite à la longue et quelquefois les effeuille en lames minces.

Le grès porte au Cambodge le nom de thma phâc, qui signifie « pierre de boue ». Cette appellation, qui serait d’ailleurs assez bien appropriée à ce genre de pierre, a, aux yeux des habitants actuels, une signification et une portée précise qu’elle n’avait, sans doute, pas autrefois. C’est une idée très-répandue dans tout le peuple, et chez presque tous les grands, que dans les monuments de l’ancien Cambodge les matériaux étaient façonnés de toutes pièces avec de la terre et de l’eau, et moulés à l’état liquide suivant les formes assignées par le grand architecte du ciel Prea Pus Nuca, délégué de Prea En (le dieu Indra), le roi des génies.

Aux environs immédiats d’Angcor, aucun gisement de grès n’a encore été découvert, et jusqu’à plus amples recherches, c’est encore vers l’est, au village de Ben et un peu au delà du point signalé pour le gisement du bai kriem, qu’il faut aller chercher les carrières les plus voisines.

Là, au pied d’une petite chaîne de montagnes dont la plus rapprochée porte le nom de Pnom Coulèn, le sous-sol est entièrement formé d’un beau grès apte aux constructions.

Un torrent, profond et rapide au temps des pluies, presque à sec au printemps, creuse son lit dans ce banc de roches, et l’on y découvre à chaque pas des traces du travail de l’homme : des blocs entaillés à pic, des fûts de colonnes ébauchés, des dalles déjà équarries.

Si l’on traverse le torrent pour se rapprocher du pied de la montagne, il devient évident que l’on est arrivé aux carrières mêmes : sur une étendue de plusieurs kilomètres, se dressent des blocs énormes au pied desquels sont creusées de profondes excavations. Partout les traces du fer restent visibles, et l’on peut étudier sur les fragments à demi détachés et restés sur place les procédés d’exploitation employés. Quelques instruments retrouvés çà et là, dont les habitants peuvent encore expliquer l’usage, viennent compléter et éclairer ces indices.

On reconnaît ainsi comment s’y prenaient les ouvriers pour obtenir ces magnifiques parallélépipèdes de pierre que l’on trouve dans les monuments khmers. Deux lignes