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ses compatriotes, à Lao-kay, s’est proclamé indépendant et vit des revenus considérables de la douane qu’il a installée sur le fleuve.

Il y avait à étudier là une question commerciale d’un grand avenir et d’un intérêt exclusivement français, puisque le Tong-king, par suite des traités qui nous lient à la cour de Hué, se trouve placé sous notre influence politique.

La pacification du Yun-nan rendra au vaste bassin du Song Coi la vie commerciale et la richesse que lui assurent ses produits si variés et si précieux. La proximité de l’embouchure du fleuve et du port français de Saïgon leur offre un débouché facile et économique. Une politique jalouse a su détourner jusqu’à présent de leur voie naturelle les denrées annamites : elles vont chercher à Canton ou à Shang-hai un marché éloigné et onéreux. Il nous appartient d’user de notre influence auprès des cours de Pékin et de Hué pour faire cesser cet état de choses. Notre colonie de Cochinchine est légitimement appelée, par la force même des choses, à recueillir l’héritage de Canton, et Saïgon offrira aux produits du Yun-nan et de l’Indo-Chine septentrionale, un point de chargement mieux situé pour leur échange contre des marchandises européennes.

Malheureusement le manque d’interprètes et par suite la difficulté de recueillir des renseignements précis et sérieux, empêchèrent M. de Lagrée de pousser ses investigations de ce côté aussi loin qu’il eût été nécessaire.

Nous visitâmes aux environs immédiats de Lin-ngan, un gisement de lignite, dont l’exploitation est assez active. Ce combustible est d’un emploi général ; la plaine de Lin-ngan est entièrement déboisée, et le peu de bois que l’on brûle est apporté de fort loin par les sauvages. L’extraction du lignite se fait par deux puits verticaux d’une profondeur de 16 à 17 mètres ; ils donnent accès à des galeries horizontales d’un grand développement, pratiquées à l’intérieur de la couche combustible qui paraît avoir une épaisseur variant d’un mètre à cinquante centimètres. L’exploitation est monopolisée par l’administration chinoise ; de nombreuses voitures se pressent autour des puits et attendent leur tour de chargement. On paye sur les lieux mêmes. Ces voitures, les premières que nous eussions rencontrées depuis bien longtemps, sont de petits chariots fort bas, portés sur deux roues pleines et traînés par un bœuf ou un buffle. On fabrique également à Lin-ngan ce papier commun dont on fait en Chine une si grande consommation en guise d’allumettes.

Nous partîmes de Lin-ngan le 9 décembre. La plaine que nous traversâmes, en remontant la rivière, présente une énorme étendue, toute mamelonnée de collines et couverte de tombeaux. Les ponts, les portiques de marbre, les quelques bouquets d’arbres qui s’élèvent auprès des pagodes évoquent un vague souvenir de la campagne de Rome. On reste frappé des gigantesques travaux exécutés par les habitants pour préserver leurs champs des cailloux que charrient les torrents ; ceux-ci ont été endigués, sur tout leur parcours dans la plaine, entre deux énormes murailles de pierres sèches. Chaque génération élève ces murailles à son tour, afin de suivre l’exhaussement progressif que subit le lit du torrent après chaque saison pluvieuse ; les galets qu’il entraîne à cette époque, se trouvant retenus dans d’étroites limites, s’accumulent rapidement. Aujourd’hui tous ces cours