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furent posées par ses soins, sur les murs d’enceinte de notre pagode et menaçaient de mort tous ceux qui oseraient importuner les étrangers. Il tint à se montrer envers nous d’une munificence orientale. Tous les indigènes qui nous approchaient de près ou de loin, reçurent des marques de sa générosité. Les soldats d’escorte qui étaient venus de Yuen-kiang eurent de l’argent et des habits. On distribua à tout le personnel de l’expédition de grandes plaques d’argent, sorte de récompense que le gouverneur de Lin-ngan avait coutume de distribuer à ses soldats, et sur lesquelles étaient inscrits son nom et le mot récompense ; elles étaient destinées, nous fit-il dire, à nous préserver des mauvais sorts. Nous eûmes toutes les peines du monde à refuser, le jour de notre départ, vingt habillements complets, quelques-uns fort riches, qu’il offrait à nous et à notre suite.

Il était regrettable que l’état de la contrée ne nous permît pas de pousser notre reconnaissance plus à l’est : on nous signalait à Mong-tse, ville située à trois jours de marche de Lin-ngan, des mines d’argent et de plomb. De ce point, on se trouve à deux cents li de Mang-ko, grand marché situé sur les bords du Ho-ti kiang, et où ce fleuve, d’après les renseignements que j’avais recueillis pendant mon excursion, commence à devenir navigable. En aval de Mang-ko on trouve sur les bords du fleuve la ville de Lao-kay, qui est en plein pays annamite, à deux jours de la capitale du Tong-king. De nombreuses mines d’or, d’argent et de cuivre se trouvent dans le département chinois de Kai-hoa que traverse le Nan-si ho, affluent du Song Coi, ou fleuve du Tong-king. Mang-ko paraît être le centre d’un commerce très-actif. Les gens de Canton, qui s’y rendent en traversant le Kouang-si et la partie nord du Tong-king, y apportent des laines, des cotonnades, des soieries et remportent en échange le coton et le thé que produisent les Pa-y des environs et de la vallée du Nam Hou. La plupart des soies que consomme le sud du Yun-nan viennent par cette voie, et le courant commercial du fleuve Bleu et du Se-tchouen ne commence à l’emporter sur l’exportation cantonnaise que beaucoup plus au nord. Les Chinois de Lin-ngan portent à Mang-ko des thés venus par la route de Pou-eul. Avant la guerre des Mahométans, les mandarins chinois du Yun-nan faisaient apporter de Tong-tchouen à Sin Kay, marché annamite qui se trouve sur le Song Coi en aval et à peu de distance de Mang-ko, de l’étain et du zinc, dont on se sert en An-nam pour la fabrication de la monnaie nationale ; on échangeait là ces métaux contre de l’argent, au titre de huit dixièmes, que l’on achevait de purifier dans le Yun-nan.

Il n’était point permis aux Annamites d’entrer sur le territoire chinois, et nous ne pûmes découvrir, pendant tout notre séjour le long des frontières, aucun sujet de Tu-duc. Une large bande de terrain habitée par des tribus Pa-y ou Lolos, paraît s’interposer de ce côté entre la Chine et l’An-nam. Les troubles et les révoltes, qui ont accumulé la misère et les ruines dans les provinces méridionales du Céleste Empire, sont venus compliquer encore la situation politique de la contrée. Les Cantonnais, en possession depuis longtemps du commerce de Mang-ko, n’ont pas tardé à s’y porter en masse pour échapper aux bouleversements incessants dont leur province est le théâtre. Depuis quelques années, un chef cantonnais s’est établi avec une nombreuse colonie de