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Se-mao existe depuis près de trois siècles. La résidence du roi de Muong La, ancien nom de la principauté laotienne qui occupait jadis son territoire, se trouve alors à une lieue de la ville chinoise actuelle.

Se-mao ne fut fortifiée que vers 1811 ; l’enceinte est un carré à angles arrondis, qui a environ une lieue de tour et quatre portes. Tout auprès de la porte du sud, nous visitâmes les ruines d’une belle pagode détruite par les Mahométans.

La seule partie réellement artistique qui y fût restée intacte était une sorte d’arc de triomphe en pierre, d’un dessin très-correct, présentant sur les côtés deux ouvertures rondes, forme que les Chinois aiment souvent à donner à leurs portes[1]. Il y avait çà et là des sculptures d’une valeur réelle, auxquelles la pierre employée, beau grès à teinte rosée, donnait une couleur chaude qui en rehaussait l’effet. On peut dire que les sculpteurs chinois copient admirablement l’attitude et rendent très-bien le mouvement, mais qu’ils s’appliquent plus à reproduire le grotesque et la grimace qu’à copier la nature ; ce sont des artistes qui n’ont que des cauchemars : et jamais un rêve heureux.

Vers le 24 octobre, une vive agitation se fit remarquer dans la ville. On nous dit qu’un grand nombre d’habitants de Pou-eul venaient d’arriver fuyant l’invasion mahométane. Les Koui-tse n’étaient plus qu’à très-peu de distance de cette ville, et il fallait se hâter de partir si nous ne voulions pas trouver la route complètement fermée.

Le 27 octobre, notre interprète Alévy, qui ne pouvait plus nous être d’aucune utilité dans des pays dont il ignorait la langue, nous quitta définitivement emportant une lettre de M. de Lagrée pour le gouverneur de la Cochinchine. Il avait le projet de redescendre de nouveau le cours du Mékong et de revenir se fixer au Cambodge. Il arriva en effet à Pnom Penh quelque temps avant notre retour à Saïgon. Il fut remplacé auprès de M. de Lagrée par un jeune Laotien de la frontière qui parlait, assez imparfaitement, il est vrai, le dialecte du Yun-nan.

Le 29, M. de Lagrée alla prendre congé des autorités de la ville qui lui donnèrent les plus bienveillants avis sur les précautions à prendre en route, et qui lui fournirent une escorte de douze soldats commandés par un mandarin.

Nous partîmes le 30 et traversâmes, sur une chaussée pavée, la plaine de Se-mao, où s’éparpillent une trentaine de beaux villages : la plupart étaient à ce moment ruinés et déserts. Nous gravîmes les pentes qui limitent la plaine sur une route, dallée avec de gros blocs de marbre et solidement établie sur les flancs de la montagne. Le lendemain, nous suivîmes les bords d’un torrent qui coulait vers le nord en s’augmentant à chaque pas de l’apport de nombreux ruisseaux. Au bout de peu de temps, il devient une véritable rivière que la route franchit sur de magnifiques ponts en pierre. Nous déjeunâmes au village de Na-kou-li ; nous retrouvions ici un nom figurant déjà sur les cartes européennes. Le village actuel de Na-kou-li ne justifie guère cet honneur : il ne se compose que d’une dizaine de maisons en partie ruinées, comme tout

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXXIII, le dessin de ce portique.