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était nécessaire, il fallut recruter les femmes et les enfants ; notre marche n’en fut pas ralentie ; jamais, au contraire, nous n’avions été menés aussi rondement. La cadence accélérée du pas était battue sur un tam-tam dont le porteur nous précédait. Nous rejoignîmes bientôt une rivière assez considérable, le Nam Yot, affluent du Mékong dont nous nous trouvions environ à une journée de marche. Depuis Muong Yang, nous remontions presque directement au nord, parallèlement à la vallée du fleuve.

Le Nam Yot serpente au fond d’une vallée très-cultivée ; il est grossi à chaque instant par de petites rivières, dont les confluents sont pittoresquement encadrés par les hauteurs. La journée de marche du 11 octobre fut une charmante promenade au travers de jardins et de nombreux villages. Au bout de six heures de marche, nous arrivâmes à Xieng Neua, le dernier centre laotien de quelque importance que nous devions visiter.

Xieng Neua dépend de Muong La thai, province laotienne dont le chef-lieu se trouve dans l’est. Depuis la guerre, le roi de Muong La thai habite à une demi-journée dans le nord-ouest de Xieng Neua. C’est par l’intermédiaire de ce roitelet, qui porte le titre de Sa mom, que Se-mao et Xieng Hong communiquent ensemble. Se-mao écrit en chinois, le Sa mom traduit en langue thaï, et réciproquement. Nous nous reposâmes un jour entier à Xieng Neua.

Muong Pang, où nous arrivâmes le lendemain, après une marche de trois heures, nous offrait une physionomie trop nouvelle pour que je n’aie pas à y insister quelques instants.

Ce petit village, situé au fond d’une gorge, élevée de 1,100 à 1,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, est habité par des Chinois et des Thai Ya, chassés par la guerre de la partie sud du Yun-nan. Ils ont apporté dans le Laos les mœurs et les procédés agricoles du Céleste-Empire : les hautes maisons laotiennes sont remplacées par de petites huttes basses et grossièrement construites avec de la boue pétrie, appliquée sur un clayonnage en bois. Mais, si l’aspect des demeures de ces pauvres réfugiés est misérable, leur industrie supérieure se révèle dans tous les détails. C’est avec un vif plaisir que nous retrouvâmes des tables, des bancs, des étagères, des seaux et ces mille ustensiles de la vie domestique que, chaque jour, il fallait nous ingénier à remplacer. Les jardinets soignés qui entouraient les demeures de nos hôtes, les charrues, les tarares que nous voyions autour de nous, nous annonçaient, d’une façon plus certaine encore que les quelques travaux de ponts ou de route que nous avions rencontrés jusque-là, le voisinage du célèbre pays où l’agriculture est le premier des arts. La récolte du riz venait d’être faite et l’on donnait déjà un premier labour aux champs récoltés. C’était la première fois que nous voyions pratiquer sur les montagnes un labourage sérieux.

Les Thai Ya que nous trouvions à Muong Pang sont habillés à peu près comme les Thai neua que nous avions rencontrés à Xieng Hong. Les costumes des femmes sont très-caractéristiques : elles portent une jupe et un corselet voyant sur lesquels elles mettent une petite veste et un tablier ; de grandes boucles d’oreilles rondes en fils d’argent et des boutons de même métal dans les cheveux, donnent un aspect riche et original à cette toilette qui n’est pas sans analogie avec certains costumes de la Suisse ou de la Bretagne[1].

  1. Voy. les costumes Pa-y, donnés Atlas, 2e partie, pl. XXXV.