Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/435

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Angkrit (Anglais) revenait souvent. M. de Lagrée et son compagnon tournèrent aussitôt les talons, en faisant dire au mandarin birman qu’ils renonçaient à le voir, puisqu’il ne renonçait pas à ces formalités humiliantes. Celui-ci rappela les officiers français, se fit attendre quelque temps dans la salle d’audience, prit les airs les plus cassants qu’il lui fut possible et ne se radoucit qu’à la vue des cadeaux qui lui étaient offerts. L’impression que retira le commandant de Lagrée de cette première entrevue fut qu’on attermoierait avec lui jusqu’à l’arrivée d’une réponse d’Ava. Il employa les trois ou quatre jours, qu’on lui demandait pour prendre une décision, à visiter la ville. Xieng Tong est assis sur quatre ou cinq petites collines et entouré d’une enceinte en briques de forme irrégulière, mal entretenue et défendue par un fossé profond. Le développement total de cette enceinte est d’environ douze kilomètres ; un quart seulement de l’espace qu’elle comprend est occupé par les habitations. Les maisons de Xieng Tong présentent tous les genres de construction, en bois, en bambou, en pisé ; les unes sont sur pilotis, les autres reposent directement sur le sol. Les demeures du roi et des grands fonctionnaires sont en bois, couvertes en tuiles, supportées par de fortes colonnes et d’une menuiserie soignée. La ville contient une vingtaine de pagodes, aux toits superposés et aux arêtes curvilignes, dont l’architecture accuse une influence chinoise déjà très-prononcée. Elles sont surchargées de dorures et continuellement en réparation. La consommation énorme de feuilles d’or que nécessite ce genre d’ornementation et la difficulté des communications avec la Chine, d’où on tire le précieux métal, depuis la révolte des mahométans, ont augmenté sa valeur dans une proportion considérable. Au moment du passage du commandant de Lagrée, on changeait l’or contre vingt et un, vingt-deux, vingt-trois et même vingt-quatre fois son poids en argent, suivant le titre de celui-ci. Le change en roupies était de vingt fois le poids. À l’ouest de la ville, à un kilomètre, se trouve un Tât en grande vénération, nommé Tât Chom Sri : il était en réparation. On en attribue, suivant l’usage, la fondation à Açoka, qui est connu ici sous le nom de Pha Souko.

Les relations entre le roi de Xieng Tong et les deux officiers français devinrent chaque jour plus familières et plus cordiales : Sa Majesté invitait presque chaque jour ses hôtes à passer la soirée avec lui et, mettant toute étiquette de côté, les accablait de questions sur les usages français, sur Saïgon, la Cochinchine, l’Europe, sur la langue et la science françaises. Dans ces entrevues, le roi et sa femme étalaient un grand luxe de bijoux ; à chaque nouvelle visite, ils avaient de nouvelles bagues et de nouvelles boucles d’oreilles d’or, où brillaient des diamants et des émeraudes d’une valeur considérable. Le roi était décoré de l’ordre d’Ava, à quinze chaînettes et à quatre plaques d’or ornées de rubis, qu’il portait en écharpe de gauche à droite.

Après avoir vu toutes les lettres dont le commandant de Lagrée était porteur et s’être convaincu de sa sincérité, le prince laotien n’hésita plus à lui accorder la permission de quitter Xieng Tong dès que celui-ci le désirerait, et il fut convenu que les deux officiers français partiraient directement pour Muong You, tandis qu’une lettre irait porter à Muong Yong, au reste de l’expédition, l’autorisation de se remettre en route pour le même point.