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les bonzes nous demandaient souvent avec une respectueuse curiosité quelques renseignements sur le Tevata Nakhon, ou « Royaume des Anges », qui est le nom sous lequel ils désignent l’ancien empire khmer. Quant à ce qui les touche de plus près, quant à ces ruines voisines qu’ils ne visitent jamais et que la végétation recouvre, on n’obtient d’eux, en réponse à toutes les questions qu’on leur adresse, que l’éternel bo hou, « je ne sais pas ! »

À quelques lieues au sud de Muong Yong, sur le flanc des collines qui bordent la rive droite du Nam Yong, s’élève un Tât, appelé Tât Chom Yong, que l’on aperçoit de tous les points de la plaine. Il paraît plus ancien que les ruines de Muong Yong, et il est dans un état de conservation plus satisfaisant. C’est encore aujourd’hui un lieu de pèlerinage très-fréquenté. On y arrive par une route en pente pratiquée dans la montagne et dont les différents tronçons sont reliés par des escaliers. Au bout d’une demi-heure d’ascension, on parvient à un pouchrey (variété du ficus religiosa) d’énorme dimension, qui, suivant l’usage bouddhiste, a été probablement planté au moment de la construction du Tât. Il a cinq ou six mètres de diamètre. Tout auprès, on distingue les ruines d’un autel et d’une petite enceinte. Un peu avant d’arriver au plateau qui supporte le Tât, on rencontre encore un puits sacré qui est en très-grande vénération.

Le monument lui-même se compose d’une grande galerie rectangulaire, au centre de laquelle s’élève une pyramide dorée, surmontée d’un thi en fer. Le pied de la pyramide est entouré de colonnettes ; à leur sommet est un trou ovale dans lequel on dépose les offrandes. Ces colonnettes s’appellent doc bo, ce qui signifie « feuille de lotus. » Il y a aussi de petits monuments appelés Ho, destinés au même usage. Les colonnes de la galerie sont carrées et ornées de bonnes sculptures. Quoique portant la trace de plusieurs restaurations, elles ont presque complètement conservé leurs formes primitives, et les habitants les disent contemporaines de la première construction du Tât. Toutes les ornementations sont en ciment. Comme dans les monuments ruinés de Muong Yong, on peut saisir quelque analogie entre les lignes générales et quelques motifs décoratifs du Tât Chom Yong et l’architecture d’Angcor. Au milieu du côté est de la galerie, est un petit sanctuaire, à l’intérieur duquel sont plusieurs statues en bronze assez curieuses. Elles se distinguent par la grande saillie des yeux et du menton qui semble surajouté. L’une d’elles porte en bons caractères la date de 100. Il y a aussi des statuettes en marbre, parmi lesquelles une représentation du Bouddha dans le repos, ou, comme l’appellent les Laotiens, de Prea Nippan.

À l’ouest, un peu au-dessous du monument, sur un plateau moins élevé, est une pyramide plus petite, également dorée. De ce point la vue est très-belle : on découvre la vallée du Nam Yong et celle du Nam Ouang, et le regard n’est arrêté que par la ligne de montagnes qui ferme l’horizon du côté du couchant.

La chronique ou Samaing du Tât Chom Yong commence à peu près ainsi :

« Quand Pha Kasyapa (le bouddha antérieur à Sammono Codom) vint dans le pays de Muong Yong, il n’y avait aucun habitant et la plaine était un grand lac. Il planta sur le flanc de la montagne un Pou chrey qu’il avait apporté de Lanka (Ceylan), et il