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moindre déplacement, la mauvaise volonté ou l’indifférence des autorités locales, la crainte de voir les chefs birmans de la contrée revenir sur un consentement qui n’avait été accordé qu’après de longues discussions, toutes ces raisons de douter de notre réussite, jointes à un long isolement et à de vives souffrances physiques, assombrissaient nos esprits et ébranlaient notre moral. Dans ce coin de pagode transformé en hôpital, nous n’avions d’autre ressource que de rendre aux allants et aux venants la curiosité qu’ils nous témoignaient, de nous familiariser avec les cérémonies quotidiennes du culte bouddhique, et quelquefois aussi de nous transformer en marchands. Les indigènes avaient préféré bien vite à notre argent les objets d’échange dont nous disposions encore, et presque tous les achats se faisaient en nature pour soulager la caisse appauvrie de l’expédition.

Le fleuve coule à peu de distance de Siemlap et j’en fis le but d’une de mes premières excursions : après avoir décrit un détour à l’est, il se redresse vers le nord, s’encaisse entre deux rangées de collines, et offre une navigation, sinon facile, du moins possible pendant quelque temps ; malheureusement, je ne découvris dans les environs qu’une seule grande barque, celle du chef du village. Il y en avait d’autres, paraît-il, et, une grande fête devant avoir lieu le 16 à la pagode, un chef vint proposer le 14 au commandant de Lagrée de la quitter pour aller nous installer dans des maisons inhabitées qui se trouvaient sur le bord de l’eau ; il ajoutait que le 17, après la fête, des barques viendraient nous prendre et que nous pourrions nous remettre en route. Mais les conditions de prix étaient exorbitantes et le commandant de Lagrée les jugea inacceptables. Nous restâmes donc.

Quelques sauvages de la tribu des Khas Kouys, qui habitaient les environs, vinrent à la pagode pendant la fête. D’après Mac Leod, ils auraient la même origine que les Khas Khos. Le voyageur anglais en fait une race petite, laide et sale, très-adonnée aux liqueurs fortes. Ceux que nous vîmes à Siemlap ne répondent point à cette description : leur nez est arqué ; leur tête longue, leur profil en lame de rasoir, leur menton rentré, leur moustache, leur bouche, leur turban leur donnent un faux air arabe ; quelques-uns ont de très-jolies figures. Ils s’habillent presque comme les Laotiens. Les coiffures des femmes comportent des cercles de bambou et des colliers de verroteries, comme celles des Mou-tse ; mais elles sont en général moins élégantes. Les Kouys n’ont pas d’écriture et adorent des esprits. Ils enterrent leurs morts et chaque famille a une tombe commune. On y introduit chaque jour un peu de riz par un trou ménagé du côté de la tête. On dit que ces sauvages commettent souvent des déprédations sur les routes, et Mac Leod rapporte que le gouverneur de Xieng Hong fut obligé jadis de faire une expédition contre eux pour réprimer leurs brigandages. Ils ne payent d’autre impôt aux chefs laotiens que quelques présents en nattes et en cotonnades. Ils leur fournissent également en voyage du riz et des porteurs. Ils cultivent beaucoup de tabac et de coton, qu’ils vendent aux Chinois. On les dit très-nombreux vers le nord du côté de Muong Lim. Les Mou-tse, les Kouys et les Khos[1] me

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXXII et pl. II.