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mauvais sort, et les autorités de Paleo, gagnées sans doute par des cadeaux, n’insistèrent pas davantage auprès d’eux ; ce furent des Lus que nous engageâmes jusqu’à l’étape suivante, Siemlap.

Le commandant de Lagrée fit partir d’avance pour ce point son interprète Alévy, accompagné de deux Annamites, parmi lesquels se trouvait le sergent, homme solide et résolu. Alévy devait prévenir de notre arrivée les autorités locales et leur demander de faire parvenir une lettre au roi de Xieng Kheng, de qui dépendait Siemlap, et auprès duquel nous avions à faire une démarche analogue à celle qui avait réussi auprès du roi de Xieng Tong, son frère. Cette fois, M. de Lagrée n’eut garde d’oublier, dans la répartition des cadeaux qui accompagnaient sa demande, le fonctionnaire birman, préposé à Xieng Kheng à la surveillance du prince indigène.

Alévy partit le 5 juillet. Nous l’aurions suivi dès le lendemain, sans un orage qui grossit pendant la nuit un des torrents que nous avions à traverser ; on ne pouvait en risquer le passage avec des hommes chargés de fardeaux. La journée du 7 s’étant passée sans pluie, les eaux diminuèrent, et nous pûmes, le 8 au matin, nous mettre en route. Nous dûmes coucher le soir en pleine forêt sur les bords du Nam Ouen et nous construire un gourbis pour nous garantir contre les averses qui ne pouvaient manquer de troubler notre sommeil. L’une d’elles fut si abondante, qu’elle eut bientôt raison du frêle rempart de feuilles qui lui était opposé : nous fûmes trempés jusqu’aux os, malgré nos couvertures. Ce ne fut pas là d’ailleurs la plus grande cause d’insomnie : en outre des légions de sangsues et de moustiques, compagnons inséparables, en cette saison, du voyageur dans les forêts du Laos, le lieu qui nous servait de halte était infesté par une quantité innombrable de pucerons ailés, qui s’enfonçaient dans le cuir chevelu et y causaient les démangeaisons les plus vives. Nous fûmes le lendemain sur pied de grand matin, trop heureux de déménager de ce malencontreux asile et de respirer en cheminant un air moins chargé d’insectes.

La contrée que nous traversions, et qui la veille était plane, devint montagneuse : la forêt, qui recouvrait les pentes que nous gravissions et que nous descendions tour à tour, avait parfois de magnifiques aspects, que les préoccupations et la fatigue nous empêchaient d’admirer comme ils le méritaient. Çà et là, quelques coteaux étaient couverts de plantations de coton. Sur les plateaux les plus élevés, surgissaient des sources dont l’eau limpide courait sous un gazon fleuri. Nous débouchâmes, après cinq heures de marche, dans la plaine de Siemlap, où nous eûmes de nouveau à cheminer dans la boue au milieu de rizières fraîchement repiquées. Nous trouvâmes Alévy et nos deux Annamites installés dans la pagode du village et en train d’organiser notre cuisine ; ils avaient su remplir notre garde-manger par un coup d’éclat. Dans la forêt, pendant leur voyage de Paleo à Siemlap, un cerf de grande espèce avait été abattu sous leurs yeux par un tigre. Sans se laisser déconcerter par cette double et subite apparition, Alévy et le sergent annamite avaient immédiatement tiré, moins dans l’intention d’atteindre la bête féroce, qui blessée, fût devenue dangereuse, que dans le but de l’effrayer. La double détonation l’avait en effet mise en fuite, et nos chasseurs sans le vouloir avaient pu achever