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que l’on n’osât pas insister davantage. Nous traversâmes le village sans autre incident.

Au delà commençaient la forêt et des chemins moins pénibles pour nous. Nous couchâmes le soir à mi-chemin de Paleo, à Ban Nam Kun, dans la maison d’un bonze, qui servait de pagode.

Le lendemain, 2 juillet, après cinq heures d’une marche très-fatigante, au milieu de petites collines boisées, entrecoupées de ruisseaux et de marais au milieu desquels le sentier se perdait souvent, nous arrivâmes à Paleo, où nous nous installâmes dans une pagode neuve, agréablement située près des bords du Nam Kay, petit affluent du Cambodge. Les trente kilomètres que nous avions parcourus depuis Muong Lim nous revinrent à peu près à cent cinquante francs. Nous ne pouvions aller bien loin avec ce tarif, et une nouvelle réduction de bagages fut résolue. Mais, au lieu de donner nos effets, comme à Luang Prabang, nous les vendîmes : une redingote s’échangea contre deux poules, un pantalon contre un canard, un gilet de flanelle contre un concombre. Nous nous résolûmes à porter chacun nos armes, à abandonner les petits matelas qui nous avaient préservés jusque-là du contact de la terre nue, et à nous contenter désormais de nos couvertures pour tout objet de literie et de campement. Nous réduisîmes ainsi tous nos bagages à trente colis assez maniables, dont la pharmacie, les instruments, les munitions et l’argent formaient la partie la plus considérable. Il nous restait environ dix mille francs en argent, formant un poids de cinquante kilogrammes. Quoique nous l’eussions divisé en deux colis, le volume de ceux-ci, trop petit relativement à leur poids, attirait assez l’attention pour exiger en route la surveillance spéciale de l’un des hommes de l’escorte.

Paleo est à une petite lieue de la rive droite du fleuve ; naturellement, j’allai revoir cette vieille connaissance : le Cambodge coule ici dans une plaine où il s’épanouit à son aise ; il est comparable aux plus beaux endroits du Laos inférieur ; mais il ne porte que quelques barques de pêcheurs et continue à être délaissé comme route commerciale. La rive gauche appartient toujours à Muong Nan, et, par conséquent, à Siam. C’est à quatre ou cinq milles plus haut qu’une petite rivière, le Nam Si, forme la limite du territoire siamois et du territoire birman.

Nous trouvâmes à Paleo une autre espèce de sauvages, les Khas Khos, dont le type est encore plus voisin du type chinois que le type annamite[1]. Ils se considèrent comme une colonie chinoise, venue des monts Tien-tsang, dans le voisinage de Ta-ly. Ils portent les cheveux rasés, à l’exception d’une queue, qu’ils enroulent à un turban noir, orné de cercles d’argent. Le costume des femmes diffère peu de celui des Mou-tse que nous avions rencontrées à Muong Lim. Les femmes mariées ont seules le droit de porter une coiffure. Celle-ci est fabriquée spécialement pour la personne qui doit en être titulaire, et à partir du jour des noces, la femme et la coiffure ne se séparent plus : on les ensevelit dans le même tombeau. Les Khas Khos possèdent un grand nombre d’objets en argent, ciselés avec beaucoup de goût. Ils ont même des pipes de ce métal, représentant des sujets assez gracieux. Ils se refusèrent à nous servir de porteurs, en disant qu’ils craignaient le

  1. Voy. Atlas, 2e part., pl. II et XXXII.