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DE LUANG PRABANG À MUONG YONG.

Quand on a franchi les deux ou trois petites chaînes de collines qui bordent le fleuve, et entre lesquelles coulent de petits ruisseaux dont le lit sert de route pendant la plus grande partie du trajet, on se trouve dans une grande plaine qu’arrose le Nam Lim et où s’élève le muong de ce nom. Le Nam Lim est une rivière assez considérable, que nous dûmes passer en barque et qui paraît venir d’un lac situé près de la ligne de partage des eaux du Cambodge et de la Salouen[1].

Muong Lim est un grand village, entouré de rizières très-bien établies, où se tient tous les cinq jours un marché assez considérable. La valeur relativement élevée des denrées indique des communications commerciales déjà importantes. De nombreuses étoffes anglaises apparaissent dans les étalages. On ne peut s’empêcher d’admirer l’habileté et le sens pratique de nos voisins en fait d’exportations. Ils ont créé pour l’Indo-Chine une fabrication spéciale, qui a choisi les couleurs les plus aimées des indigènes et les dessins les plus propres à flatter leur fantaisie. Des images de pagodes et d’autres emblèmes bouddhistes s’étalent sur le fond de toutes ces étoffes, qui sont exactement de la longueur et de la largeur qu’avaient les étoffes de fabrication indigène, avant l’introduction des produits européens.

Le commandant de Lagrée avait rendu visite au gouverneur de Muong Lim, vieillard de soixante-dix-huit ans, qui attendait, pour savoir quelles relations il devait établir avec nous, les instructions de Xieng Tong. Tout réservé que fût son accueil, il n’en consentit pas moins à considérer M. de Lagrée comme l’envoyé d’une nation puissante : une garde fut placée autour de nous. Quelques musiciens du muong vinrent nous donner une aubade. Un chanteur, tenant une bougie allumée dans chaque main, débitait sur un rhythme assez entraînant des couplets que terminait un court refrain répété en chœur par toute l’assistance. De nouveaux types apparaissaient au milieu de la population : les Khas Mou-tse, très-nombreux aux environs de Muong Lim, en étaient les plus remarquables. Ils étalent une recherche et une complication de costume que nous étions peu habitués à rencontrer en Indo-Chine. La coiffure des femmes est des plus originales : elle se compose d’une série de cercles de bambou, recouverts de paille tressée et s’appliquant sur le sommet de la tête. Le rebord de cette sorte de chapeau est garni de boules d’argent qui encadrent le front ; au-dessus, sont deux rangées de perles de verre blanc ; sur le côté gauche, pend une houppe de fils de coton blancs et rouges, d’où part une ganse formée de cordons de perles multicolores. Des fleurs et des feuilles s’ajoutent toujours à cette coiffure, qui est susceptible des modifications les plus variées. Les femmes portent un justaucorps dont les manches et les basquines sont bordées de perles blanches, avec un plastron sur la poitrine, et un jupon très-court qui n’atteint pas les genoux. Les jambes sont enveloppées de guêtres collantes, qui partent de la cheville et recouvrent tout le mollet. Ces guêtres sont ornées d’un rang de perles, placé à mi-jambe. La toilette se complète par des pendants d’oreilles en perles de couleurs ou en boules d’argent soufflé, par des bracelets, des ceintures, des colliers et des baudriers croisant la poitrine, composés

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. II et XXXII.