Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/403

Cette page a été validée par deux contributeurs.
362
DE LUANG PRABANG À MUONG YONG.

un en fer. On assure que ce berceau métallique subsiste encore au milieu des ruines.

À quelque distance au-dessus de Xieng Sen, les montagnes se rapprochent de nouveau des rives du fleuve. Après avoir passé devant l’embouchure du Nam Pout[1], affluent de la rive droite, nous rencontrâmes plusieurs îles qui devaient être les dernières que nous aurions à inscrire dans le cours de notre longue navigation sur le Cambodge. Au delà, la largeur du fleuve se réduisit à 150 ou 200 mètres, et la navigation redevint aussi pénible que pendant les plus mauvais jours de notre voyage de Vien Chan à Xieng Cang. Un chenal étroit et profond se creusa au milieu des roches qui surgissaient de tous côtés. Le soir du 17 juin, nous eûmes à franchir un passage où toutes les eaux du fleuve se réunissaient dans un bras de 40 à 50 mètres de large. C’est le rapide appelé Tang Din par les indigènes[2]. À peu de distance en amont, sur la rive droite, se trouve un torrent qui sert de limite aux provinces de Xieng Hai et de Xieng Tong ; la rive droite du fleuve devient donc à partir de ce point territoire birman. Nous rencontrâmes là des gens de Xieng Mai, qui, au retour d’une excursion dans les forêts voisines, étaient occupés à façonner en gâteaux la cire qu’ils avaient récoltée. Les rayons étaient fondus au feu, soumis à une forte pression, et la cire liquide, dégagée de toute impureté, coulait dans un moule qui avait la forme d’un segment de sphère.

Le lendemain, nous arrivâmes au pied d’un nouveau rapide, le Tang Ho, qui offre, dans cette saison, un obstacle insurmontable à la navigation du fleuve. Un sala s’élevait sur la rive droite. C’était là que nos barques de Xieng Khong s’étaient engagées à nous conduire. La continuation de notre voyage dépendait désormais de la bonne volonté du roi de Xieng Tong, sur le territoire duquel nous nous trouvions. À trois ou quatre lieues dans l’intérieur, se trouvait un chef-lieu de province, nommé Muong Lim. M. de Lagrée dépêcha un courrier au gouverneur pour l’informer de notre arrivée et lui demander l’autorisation d’aller attendre à Muong Lim même, la réponse à la lettre qu’il avait adressée au roi de Xieng Tong.

Nous nous installâmes dans le sala, jusqu’au retour de notre courrier, à côté des voyageurs birmans et laotiens qui s’y trouvaient déjà : un certain mouvement commercial se faisait remarquer en ce point ; les caravanes de bœufs porteurs qui venaient y faire halte avaient laissé de nombreuses traces aux environs. Deux principaux courants d’échanges se rencontrent là : l’un, qui a lieu par barques, apporte de Luang Prabang le sel nécessaire à la consommation locale ; l’autre, qui suit la route de terre, apporte de Xieng Maï les boules de gambier et les noix d’arec qui entrent dans la composition de la chique des Lao-

  1. Je n’ai pas pu apprécier l’importance de ce cours d’eau, nos barques suivant à ce moment la rive opposée du fleuve. Dans la rédaction de la carte, j’ai été amené à former le Nam Pout de la réunion d’un certain nombre de rivières, traversées par le lieutenant Mac Leod, dans son voyage à Xieng Tong, et qui ne me paraissaient pouvoir être attribuées ni au bassin du Nam Cok, ni à celui du Nam Lim. Cette hypothèse appelle une vérification.
  2. Dans cette partie de la vallée du fleuve, le mot Tang remplace le mot Keng, employé dans le sud du Laos pour désigner un rapide. Tang me paraît être le même mot que Tan, qui, en chinois, a la même signification ; il a dû être adopté par les Laotiens du nord, à la suite de leurs fréquentes relations avec les Chinois du Yun-nan.