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la plus absolue. À tous les compliments du commandant de Lagrée, aux quelques questions qu’il adressa sur notre compatriote Mouhot, qui avait été reçu dans la même salle par Sa Majesté, six ans auparavant, celle-ci ne répondit que par des monosyllabes, qu’un mandarin traduisait ensuite par de longues phrases à peu près vides de sens. La séance fut bientôt levée ; il fallait compter sur le temps pour arriver à établir des rapports moins cérémonieux.

Le lendemain, 2 mai, nous choisîmes, sur le versant sud de la colline qui domine la ville, un terrain entouré de plusieurs pagodes et planté de quelques beaux arbres, pour y faire construire notre logement. En quarante-huit heures, les gens du roi y eurent élevé trois cases : une pour le chef de l’expédition, l’autre pour les officiers, la troisième pour l’escorte. Une cuisine, une salle à manger sous une tonnelle, complétèrent cette installation, l’une des plus confortables dont nous eussions encore joui. Chacun de nous s’occupa d’organiser de son mieux ses travaux et ses courses, pour utiliser un séjour dont la durée était encore incertaine, mais qui en aucun cas ne pouvait être moindre que plusieurs semaines.

En arrière de notre campement s’étendait une grande plaine, où se trouvent disséminées de nombreuses pagodes ; quelques-unes sont délaissées et l’objet d’une frayeur superstitieuse. Des tombeaux, des pyramides, achèvent de peupler ce vaste espace, sorte de champ sacré, tout couvert de hautes herbes, où paissent çà et là des troupeaux de bœufs et de buffles. De la plate-forme de l’une des pyramides les plus hautes, on découvre un magnifique horizon de montagnes, et je fis de ce point le centre d’une station d’observation, pendant que M. Delaporte faisait aux pagodes voisines des pèlerinages qui enrichissaient son album. La plupart d’entre elles sont très-richement décorées, et nous rappelaient les temples ruinés que nous avions visités à Vien Chan[1]. L’une d’elles attire les regards par son extérieur singulier : elle est construite dans cette forme évasée que les Orientaux donnent aux cercueils, et les bois qui en composent les murailles sont sculptés avec une délicatesse que nous avions eu souvent l’occasion d’admirer depuis que nous étions dans le Laos. À l’intérieur se trouvent des ex-voto d’une très-grande valeur : parasols, bannières brodées, statuettes en bronze ; les plus curieux et les plus riches de ces objets sont deux défenses d’éléphant d’une grandeur peu commune, couvertes de haut en bas de sculptures originales, et dorées avec une habileté remarquable. Elles mesurent, la plus grande, un mètre quatre-vingt-cinq centimètres, la plus petite, un mètre soixante-cinq de longueur rectiligne ; en d’autres termes, ces dimensions sont celles de la corde de leur courbe naturelle.

Le docteur Thorel avait repris sa boîte de naturaliste et son bâton des grandes excursions : les montagnes voisines allaient lui offrir une riche et nouvelle moisson de plantes. Le docteur Joubert s’efforçait d’obtenir, sur les gisements et les industries métallurgiques de la contrée, des renseignements qui trop souvent, hélas ! étaient négatifs. Un jour cependant on vint lui signaler, sur l’autre rive du fleuve, un gisement de pierres pré-

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXVII, le dessin de la pagode royale de Luang Prabang.