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grisâtre de chaume. Au sommet de ce monticule, un Tât dégageait sa flèche aiguë du feuillage des arbres, et formait le trait dominant du paysage. Quelques pagodes s’étageaient sur les pentes de cette espèce de mont sacré, et leurs toits rouges tranchaient vivement sur le vert sombre de la végétation. Au pied des berges, hautes d’une quinzaine de mètres, des radeaux fixes, sur lesquels étaient construites de nombreuses cases, composaient, au-dessous de la ville, comme une seconde cité, que de nombreux sentiers en zigzag, qui apparaissaient de loin comme autant de lacets blancs, reliaient aux maisons de la rive. Des centaines de barques de toutes dimensions montaient ou descendaient rapidement le long de ce faubourg flottant, tandis que de larges et lourds radeaux, venant du haut du fleuve, cherchaient lentement près du bord un endroit commode pour s’amarrer et décharger leurs marchandises. Un monde de bateliers et de portefaix se mouvait au pied de la berge, et il s’en échappait une clameur confuse qui se mêlait au murmure des eaux du fleuve et au bruissement des palmiers que le vent balançait sur les bords.

Deux plans successifs de hautes montagnes formaient à ce tableau un sombre canevas sur lequel, tout inondés de lumière, le fleuve et la ville s’enlevaient avec vigueur. Quelques nuages flottaient au-dessus des plus hautes cimes, et traçaient une ligne de démarcation irrégulière et indécise, entre le vif azur du ciel et les teintes bleuâtres et dégradées des plus lointains horizons terrestres.

Sur l’autre rive du fleuve régnaient un calme et un silence relatifs ; sur la berge même, de longues rangées de bambous destinés à faire sécher les filets et le poisson ; un peu au delà, des jardins, quelques maisons éparses et des pagodes ; en troisième plan, une rangée de collines aux pentes abruptes et dénudées.

Il était midi quand nos barques s’arrêtèrent devant Luang Prabang : un mandarin subalterne se trouvait là pour nous recevoir. Nos hommes en armes descendirent à terre et formèrent la haie sur le passage du commandant de Lagrée. Guidés par notre cicérone indigène, nous gravîmes la berge, et nous pénétrâmes dans la ville. Pour la première fois, nous trouvions des rues larges et assez régulières, se coupant à angle droit, et formées par les hautes palissades qui entourent toutes les demeures. Après un court trajet, nous arrivâmes à Wat Pounkeo, pagode qui nous était assignée comme logement provisoire.

La population, qui eût été fort incommode si elle eût été importune, se montra moins empressée à nous voir que nous ne l’avions craint. Soit que le séjour de Mouhot et le passage de M. Duyshart eussent émoussé sa curiosité, soit qu’elle fut trop affairée pour s’apercevoir de notre présence, nous n’eûmes à nous débarrasser que des quelques gamins trop audacieux qui franchissaient l’enceinte de la pagode, et nous pûmes visiter la ville et observer ce qui s’y passait sans trop de gêne et sans trop d’émoi.

Un affluent assez important du Cambodge, le Nam Kan, vient contourner à l’est et au nord la petite colline au pied de laquelle la ville est construite et partage celle-ci en deux parties inégales dont la plus considérable reste au sud de son embouchure. Les bords du Nam Kan offrent, jusqu’à une assez grande distance dans l’intérieur, une succession ininterrompue de pagodes et de grands jardins où l’on cultive le bétel et où notre botaniste trouva pour la première fois des pêchers, des pruniers, des lauriers-roses. Nous entrions