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pirogue, qui fut vidée et remise à flot en un clin d’œil. Il suffit, à Keng Canioc, de porter les bagages à dos d’hommes, sur la rive, à une distance de 25 mètres du point de déchargement ; à Keng Luong, le trajet est de 300 mètres.

Le reste de la journée se passa à contourner péniblement une haute montagne calcaire qui s’élève sur la rive droite du fleuve, et au pied de laquelle ses eaux décrivent un demi-cercle. Vers le soir, nous avions réussi à doubler cette espèce de promontoire ; le courant s’était calmé ; des plages de sable remplaçaient les falaises de roches ; celles-ci se terminaient sur la rive droite par une masse de tuf calcaire d’une grande élévation, surplombant le fleuve. Une cascade jaillissait du sommet et ses eaux brillantes, à demi voilées par un rideau de lianes, d’arbustes et de plantes grimpantes, retombaient en pluie fine, tout irisée des rayons du soleil couchant. Nous nous arrêtâmes sur un banc de sable pour jouir de ce charmant paysage et préparer notre campement pour la nuit. Quelques marchands laotiens y étaient arrivés avant nous : ils nous montrèrent à peu de distance un radeau naufragé sur les roches et complètement envahi par les eaux. C’était là leur embarcation, et ils travaillaient activement à en sauver le contenu : déjà étalés sur le sable, se trouvaient des nattes, des gâteaux de cire, des paquets de gingembre. Mais que de choses avariées ou entraînées sans retour par le courant ! Les malheureux voyageurs n’en supportaient pas moins cette infortune avec beaucoup de philosophie, et songeaient à reconstruire un nouveau radeau avec les bambous de la rive.

Nous étions à ce moment très-près de Thadua, l’une des étapes de Mouhot dans son voyage par terre de Pak Lay à Luang Prabang. À une centaine de mètres de la berge, se trouvait une route assez large, remplie de traces d’éléphants et de bœufs porteurs. C’était celle que suivaient jadis les caravanes chinoises et qu’avait prise le voyageur français.

Le lendemain, nous arrivâmes de bonne heure à un village assez important, Ban Coksay, où nous devions changer de barques. Quoique situé sur le territoire de Luang Prabang, il dépend de la grande province de Muong Nan, dont le chef-lieu est à six jours de marche dans le sud-ouest.

La population de Ban Coksay est laotienne ; mais un grand nombre de sauvages des montagnes avoisinantes viennent dans le village y échanger leurs produits. Depuis que nous étions entrés dans la région montagneuse où le fleuve s’engage à partir de Vien Chan, cet élément de population avait pris une importance considérable. Nous avions rencontré à Xieng Cang les Khas Mis ; les sauvages que nous vîmes à Ban Coksay étaient des Khmous. Ces deux tribus, ainsi que celles qui portent plus haut les noms de Lemeth et de Does, paraissent être les débris d’une race unique que les Laotiens ont dépossédée de la souveraineté de la contrée. Leur langage n’offre que des dissemblances insignifiantes, et il a quelques rapports avec celui des tribus qui habitent les environs d’Attopeu, dans le sud du Laos[1]. Leur physionomie n’a plus cette expression

  1. Voy. les vocabulaires donnés à la fin du second volume et les types 11, 12, 13 de la pl. I de la 2e partie de l’Atlas. Mac Leod a déjà mentionné ces tribus sous le nom de Kamu et de Kamet dans le journal de son voyage à Xieng Hong (p. 42). J’ignore si les Khas Mis ont autre chose de commun que le nom avec les Kamis ou Koumis qui habitent le territoire d’Aracan.