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au sud pour se redresser brusquement ensuite à l’ouest. Keng Coutco se trouve à ce dernier coude ; à peu de distance de ce rapide, s’élève le village de Xieng Cang : nous y passâmes la journée du 13 avril. Avant la prise et la destruction de Vien Chan, Xieng Cang se trouvait sur la rive gauche du fleuve ; mais les Siamois, depuis cette époque, n’ont plus voulu que les chefs-lieux des provinces laotiennes pussent, en cas de rébellion, utiliser le fleuve comme ligne de défense, et le placer comme une barrière entre eux et leurs conquérants. Ils ont donc exigé le transport, sur la rive opposée, de la petite ville de Xieng Cang ; de là l’appellation de Muong Mai ou « Muong nouveau », par laquelle on la désigne maintenant dans le pays, concurremment avec son ancien nom. La même précaution a été prise par le gouvernement de Bankok pour tous les autres muongs situés sur les bords du fleuve, et, depuis Stung Treng, l’expédition n’avait rencontré aucun centre de population important sur la rive gauche du Cambodge.

Du nouvel emplacement qu’occupe Xieng Cang, la vue des montagnes de l’autre rive est fort pittoresque ; moins à pic, s’étageant en pentes plus douces que dans la région que nous venions de parcourir, elles offrent une série de petites vallées perpendiculaires au fleuve, retraites boisées et charmantes qu’arrose un ruisseau à l’eau claire et vive. Le village lui-même est bien construit ; les cases sont très-hautes ; on y tisse le coton, dont la culture succède pendant la saison sèche à celle du riz. La pagode principale, située à l’entrée des rizières, auprès d’un bouquet de beaux palmiers du genre corypha, est richement ornée à l’intérieur, et contient, entre autres choses remarquables, un porte-cierges antique en bois sculpté, comparable à ce que nous avions trouvé de plus beau dans ce genre. Au moment de notre passage, des colporteurs birmans avaient étalé leur pacotille sur le parvis du temple, et débitaient aux indigènes des cotonnades aux couleurs vives et quelques menus objets de quincaillerie anglaise. Grâce au chemin fait à l’ouest depuis Houtén, nous n’étions plus qu’à une centaine de lieues de Moulmein, qui se trouve presque sous le même parallèle que Xieng Cang. C’est de ce point que rayonnent, à l’intérieur du Laos, les Pégouans, ou les Birmans des possessions britanniques, à qui la connaissance des produits de l’intérieur recherchés par le commerce européen et le haut prix auquel ils vendent aux indigènes les objets de provenance anglaise, permettent de réaliser des bénéfices considérables.

Le gouverneur de Xieng Cang était à Bankok, comme la plupart de ses collègues ; mais la réception que nous firent à sa place les membres du sena n’en fut pas moins cordiale et hospitalière. Après les premiers pourparlers, le commandant de Lagrée s’informa des dispositions de la population pour les Européens dans le royaume de Luang Prabang, aux limites duquel nous étions arrivés. Il lui fut répondu que les querelles qui s’étaient élevées récemment entre l’État de Xieng Mai et les Anglais au sujet de l’exploitation des bois de teck, avaient profondément ému les principautés voisines. Les gens de Xieng Mai se refusaient, paraît-il, à admettre le jugement rendu à ce sujet par le gouvernement siamois, jugement qui était conforme aux prétentions anglaises, et les mandarins de Xieng Cang pensaient qu’ils seraient soutenus, en cas de conflit, par Luang Prabang. C’était sans doute pour s’assurer des dispositions de ce dernier pays que les Anglais y avaient