Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trement Sanghao, ne laissa pas que de nous paraître horriblement fatigante. Dès ce moment, la plupart d’entre nous marchaient pieds nus, quelques-uns pour s’habituer de bonne heure à cette nouvelle souffrance, et réserver pour les grands jours de cérémonie leur dernière paire de souliers, quelques autres par nécessité absolue. Pour ma part, dans mon voyage à pied d’Angcor à Ban Mouk, j’avais achevé d’user toute ma provision de chaussures. Les « va-nu-pieds » de la bande, comme nous nous appelions en plaisantant, devaient donc avancer avec la plus grande précaution, pour ne pas se blesser contre les arêtes vives des roches ; la surface de celles-ci était parfois assez échauffée par les rayons du soleil pour nous arracher de véritables cris de douleur, et il était comique de nous voir courir alors à toutes jambes pour aller rafraîchir dans la flaque d’eau la plus voisine notre épiderme brûlé. Malheureusement, ces bains multipliés ne faisaient que le rendre plus sensible encore, et malgré des prodiges d’agilité, il nous devenait impossible de nous aventurer au milieu des hautes herbes qui bordaient la rive, sans nous déchirer profondément les jambes.

Nous mîmes, ce jour-là, cinq heures à franchir dix kilomètres qui nous séparaient de la halte du soir, et ce fut avec une sorte de découragement que nous constatâmes que, loin de nous être endurcis à ces épreuves, nos souffrances restaient tout aussi vives qu’au début.

Le 10 avril, nous nous rendîmes en barque de Sanghao à Ban Ouang : nous nous arrêtâmes quelque temps au village de Pak Tom[1]. Dans cet intervalle, le lit du fleuve s’élargit pour recevoir quelques îles ; mais le chenal reste toujours assez nettement déterminé. Vis-à-vis de Ban Ouang, il a de 100 à 150 mètres de large et une profondeur de 33 mètres ; un peu au-dessus, il se rétrécit jusqu’à ne plus avoir que 70 mètres et il offre une hauteur d’eau de 55 mètres.

À Ban Ouang, le fleuve se redresse pendant quelques milles à l’ouest, puis revient de nouveau, non plus au sud-sud-ouest, mais au sud, quelques degrés est. Il suit cette direction pendant une vingtaine de kilomètres, sans déviation sensible, et cette longue perspective se termine par une haute aiguille calcaire, formant un cône parfait, qui semble jaillir du sein des eaux. Nous nous demandions si nous n’allions pas bientôt rencontrer, en continuant à cheminer ainsi, le Menam ou l’un de ses affluents, et si la communication indiquée sur quelques cartes entre les deux fleuves n’était point une réalité. Quelques sommets élevés dominaient les rives escarpées du fleuve, et limitaient de tous côtés l’horizon.

Le pays était devenu moins désert ; la culture du coton y paraissait assez répandue. Le 11 avril, nous trouvâmes à Ban Couklao les barques envoyées à notre rencontre de Muong Mai. Elles nous permirent de renvoyer les barques requises depuis Keng Chan dans les villages environnants et qui ne pouvaient, sans de graves inconvénients, être trop longtemps distraites de leur service habituel de pêche ou de transport.

Vis-à-vis de Ban Couklao, se trouve un rapide assez difficile, Keng Tom, à partir duquel le lit du fleuve se nettoie un peu. C’est dans cette partie de son cours qu’il se dirige exactement

  1. Consultez pour la suite du récit, la carte itinéraire no 6, Atlas, 1re  partie, pl. IX.