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entre lesquelles le fleuve allait s’engager et se frayer un difficile et sinueux chemin. Pendant une dizaine de milles à partir de Vien Chan, ses eaux, larges et peu profondes, coulent entre des rives basses couvertes de maisons et de jardins, et suivent une ligne droite dirigée à l’ouest, quelques degrés nord. Au point où nous nous arrêtâmes pour passer la nuit, la largeur du fleuve tombe brusquement à 200 mètres, et la sonde accuse, assez près du bord, 48 mètres de profondeur, mais le courant reste faible et la surface des eaux paisible. Rien ne faisait prévoir encore les difficultés de navigation que nous allions rencontrer les jours suivants.

Le lendemain, 5 avril, nous fîmes encore assez facilement une dizaine de milles entre deux rives de plus en plus resserrées ; le fleuve se réduisit à une centaine de mètres de largeur, tandis que la sonde accusait 60 mètres de fond. Le courant était assez peu rapide pour que nous pussions marcher à la pagaie, au lieu de nous haler le long des rives. Les hauteurs boisées qui encadraient la rivière offraient un aspect pittoresque, mais sauvage : nulle habitation, nulle trace de l’homme sur les berges, dont les animaux de la forêt avaient repris possession. Vers une heure de l’après-midi, nous arrivâmes à un premier rapide, nommé Keng Cai, formé par les cailloux et les galets qu’accumulent à leur embouchure deux petits affluents du fleuve, le Nam Thon sur la rive gauche et le Nam Som sur la rive droite. Un second rapide, Keng Khbo[1], se présente presque immédiatement après. Je ne trouvai qu’un mètre cinquante de profondeur au milieu du fleuve entre ces deux rapides. Au delà, le lit du fleuve s’élargissait en s’encombrant de roches et offrait le singulier aspect que j’ai essayé de décrire en commençant ce chapitre. Au grès, qui avait formé jusque-là le lit du fleuve et le sous-sol des collines avoisinantes, succédèrent des roches plutoniques, bouleversées, à l’aspect noirâtre et aux arêtes vives. Nos bateliers se déclarèrent incapables de nous conduire au milieu de ce labyrinthe d’écueils, et nous dûmes demander des guides au chef d’un petit village situé sur la rive droite, un peu au-dessus du rapide. Ce ne fut pas sans peine que nous les obtînmes : au moment de la crue, l’eau est tellement tourmentée dans ces parages qu’aucune barque ne peut plus ni monter ni descendre ; quoique nous fussions encore loin de cette époque, les difficultés du passage restaient fort grandes, et les riverains ne répondirent pas de faire passer nos barques, si légères et si petites qu’elles fussent, jusqu’au Muong prochain, celui de Xieng Cang. Ces réserves faites pour mettre leur responsabilité à l’abri, quelques-uns d’entre eux se décidèrent à se joindre comme pilotes à nos équipages laotiens.

Le fleuve commençait déjà, sur quelques points, à déborder du chenal central qu’il occupe pendant la saison sèche, et formait au milieu des roches une série de petits lacs quelquefois sans issue, ou qui ne communiquaient ensemble que par de petites chutes infranchissables. Aussi nos barques souvent fourvoyées devaient-elles à chaque instant revenir en arrière pour retrouver le lit étroit et profond de la fissure principale ; mais là le courant était des plus violents, et, pour contourner chaque coude de cette route sinueuse, il fallait faire usage de cordes. Le 6 avril, nous dûmes faire ainsi plus d’un mille

  1. Écrit par erreur sur la carte Keng Kho.