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LES RUINES DE VIEN CHAN.

grandioses et durables. Le bois forme partout le squelette des édifices, des briques ou du béton composent les murs ou revêtent les soubassements et le pavé des cours. On ne peut cependant refuser aux ruines de Vien Chan un cachet d’élégance et une recherche décorative dont l’effet est souvent remarquable : les colonnes en bois sont couvertes de sculptures, jadis dorées ; les toits se relèvent en courbes gracieuses et leurs lignes de faîte ondulent sous forme de dragons fantastiques ; partout des moulures et des arabesques ; des lions, des serpents, des chimères gardent les entrées ou supportent les soubassements ; on y retrouve en un mot ce luxe fragile d’ornementation des pagodes de Bankok ou des temples birmans dans lesquels il existe à un degré plus artistique. Il y a loin des ruines modernes de Vien Chan à cette puissance de conception et à ces dimensions grandioses qui signalent à notre admiration les restes de Pagan ; mais on peut dire que le style architectural des Laotiens tient à la fois de l’art siamois et de l’art birman.

Le palais du roi était entouré d’une seconde enceinte et l’on y retrouve encore debout la double colonnade de la salle de réception. Il venait se terminer sur le bord de l’eau par une terrasse du haut de laquelle les rois laotiens assistaient aux fêtes données sur le fleuve. Tout auprès du palais, sont les ruines de Wat Pha Keo : c’était la pagode royale. Son fronton en bois délicatement sculpté, tout étincelant de ces plaques de verre que les Orientaux ont coutume d’entremêler aux dorures pour leur donner plus d’éclat, nous apparut au milieu de la forêt gracieusement encadré de lianes et enguirlandé de feuillage[1]. La native végétation des tropiques adoucit l’aspect des dévastations les plus barbares en les recouvrant de verdure et de fleurs.

La statue que Wat Pha Keo était censé contenir et qui lui a donné son nom, est célèbre dans les fastes bouddhiques de l’Indo-Chine ; c’est une des plus anciennes représentations du Bouddha. Cinq siècles après sa mort, dit la légende, Neac Casen (Nagasena auquel les Laotiens attribuent la fondation de Xieng Mai sous le nom de Muong Phoutalibot), voulut faire une statue du sage avec la pierre appelée Monichot. Préa En alla la demander aux Yaks qui la refusèrent, sous prétexte qu’elle appartenait à Phya Chac ; ils ne purent donner que la pierre verte appelée Morocot ; Neac Casen ne sut comment s’y prendre pour la façonner et il dut recourir encore à Préa En qui en sept jours fît la statue. Elle fut portée dans cinq pays différents qui tour à tour furent puissants et heureux ; ce sont Lanka, Lamalac, Thouaraouaddy, Xieng Mai, et Lan Sang. Elle fut placée tout d’abord au chef-lieu du Muong Phoutalibot. Trois siècles après, un prince, nommé Tounna Lavouta, qui régnait à Xieng Mai, déclara la guerre à Ava ; au bout de trois ans de combats indécis, il envoya Pha Keo au roi de Lanka, qui était le cinquantième souverain de l’île, afin d’obtenir son alliance et Ceylan resta pendant deux siècles en possession de la précieuse image. Au bout de ce temps, le roi du Muong Poukam (Pagan), nommé Anauratha Thamarat, envoya des bonzes pour copier les livres et demander la statue. Les navires qui la ramenaient, firent naufrage sur les côtes du Cambodge dont le roi garda Pha Keo[2]. Plus tard,

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXII, la façade de cette pagode.
  2. Voy. ci-dessus p. 134, note 1. Comme je l’ai déjà suggéré p. 73, le monument khmer de Takeo a peut-être contenu cette singulière statue.