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LES RUINES DE VIEN CHAN.

hauts bambous, et l’on trouvait à chaque carrefour de petits autels sur lesquels on faisait brûler des aromates[1].

Le gouverneur de Nong Kay était à son poste. C’était le premier des chefs de province que nous eussions rencontré qui se fût dispensé d’aller à Bankok assister aux funérailles du second roi. Son accueil fut des plus courtois. Le commandant de Lagrée avait à lui demander un important service : celui de faire reconduire à Bankok, pour le remettre entre les mains du consul français, notre interprète européen pour la langue laotienne, le nommé Séguin, qui nous avait donné par sa conduite de nombreux et sérieux motifs de mécontentement, et dont les allures trop entreprenantes pouvaient nous créer plus tard de graves difficultés. Nous étions à peu près tous capables de demander aux indigènes les renseignements qui nous étaient nécessaires pour nos différents travaux. Le Laotien Alévy, qui, si on se le rappelle, avait été adjoint à l’expédition à Compong Luong, conversait couramment en cambodgien avec le commandant de Lagrée et lui servait d’interprète dans les relations officielles avec les autorités du pays. Enfin, la modicité de nos ressources et la difficulté des transports nous faisaient trouver avantageuse toute diminution, même la plus légère, apportée dans notre personnel ou notre matériel.

Le gouverneur de Nong Kay accepta volontiers la responsabilité de ce rapatriement forcé. Séguin partit sous escorte le 1er  avril ; il devait retrouver, à quelques jours de marche de Nong Kay, la route que Mouhot avait suivie, en partant de Bankok, pour aller rejoindre le Mékong à Pak Lay. À mon retour en France, il m’a fourni quelques renseignements utiles sur la région qu’il a ainsi parcourue.

Le même jour, nous quittions Nong Kay pour nous rendre à Vien Chan. L’emplacement de la célèbre métropole du Laos n’est distant par terre du chef-lieu actuel de la province que de trois lieues à peine ; les détours du fleuve triplent ce trajet. Le commandant de Lagrée eût pu cependant arriver le soir même de notre départ, grâce aux nombreux rameurs de la pirogue royale mise à sa disposition par le gouverneur, mais il préféra ne pas se séparer du reste de l’expédition.

À partir de Nong Kay, le fleuve continue sa course au sud jusqu’à Muong Couk, ancien chef-lieu de province de la monarchie détruite, qui a conservé, chose rare en Indo-Chine, le nom qu’il portait il y a plus de deux siècles. C’était, nous apprend Wusthof, le point le plus commerçant de tout le pays de Louwen. « Il s’y croise toutes sortes de marchandises. Les négociants maures et ceux de Siam s’y rencontrent pour le trafic des vêtements. Un Maure, entre autres, y vendit toutes ses provisions en deux ans qu’il y resta et y loua, pour s’en aller, soixante charrettes qu’il chargea de benjoin, de gomme laque et d’or à destination de son pays. » On aime à retrouver vivante et riche, dans le récit du commis hollandais, cette région si merveilleusement dotée par la nature, où la cupidité et l’oppression siamoises ont aujourd’hui accumulé les ruines. Muong Couk reste encore de nos jours un gros bourg où sont des chantiers de construction pour les barques. En amont et en aval, les villages se succèdent sans interruption sur les rives du fleuve qui cesse enfin de se diriger au sud, revient au nord-ouest et va recevoir, sept milles plus

  1. Voyez le dessin d’une fête à l’intérieur d’une pagode de Nong Kay, Atlas, 2e partie, pl. XXIII.