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DE HOUTÉN À VIEN CHAN.

En ce moment, l’aspect du Cambodge se rapprochait de plus en plus de celui du Se Moun, au-dessus d’Oubôn. Le cours des deux rivières était devenu parallèle. Le fleuve était désert ; quelques barques de pêcheurs se montraient de loin en loin : on sentait que le commerce ne se servait plus de la voie fluviale, la plaine au milieu de laquelle celle-ci se frayait un trop sinueux chemin offrant des routes aussi faciles et plus directes.

Le 23 mars, nos bateliers nous montrèrent, sur la rive droite, une pagode qui contenait l’empreinte d’un pied de Bouddha. Ces sortes d’empreintes sont excessivement nombreuses au Laos. On sait que les plus célèbres, pour les bouddhistes du sud, sont celles du pic d’Adam, sur lequel Gautama a posé son pied gauche, et de la montagne appelée par les Siamois Souana Bapato, et plus connue sous le nom de Phra bat, « pied sacré[1] », qui est située entre Korat et Bankok.

Les maisons et les jardins commençaient à réapparaître en grand nombre sur les bords du fleuve, qui continuait toujours son étonnante course au sud. Nous approchions du chef-lieu de la province. Le soir du même jour, nous nous arrêtâmes à Nong Coung, village considérable situé vis-à-vis de l’embouchure du Se Ngum, le plus grand affluent de la rive gauche du fleuve que nous eussions rencontré depuis Houtén. D’après les renseignements que nous recueillîmes, cette rivière peut être remontée six jours en barque, et traverse une région forestière très-productive. C’est de là que viennent en partie la cannelle, dont nous avions constaté l’apparition quelques jours avant sur les marchés indigènes, et le benjoin, qui ne vaut guère dans le pays que 4 francs 50 centimes le kilogramme. Le commandant de Lagrée eut un instant l’intention de faire explorer par M. Thorel les lieux où l’on récolte la précieuse écorce ; mais, malgré le très-vif désir de notre botaniste, la nécessité d’accélérer notre voyage fit renoncer à ce projet.

Le lendemain, 24 mars, nous arrivâmes à Ponpissay, où l’on travaillait déjà à l’armement des barques qui devaient remplacer celles de Saniaboury. L’accueil des autorités fut en rapport avec cette activité de bon augure. Ponpissay s’étend sur les deux rives d’un petit affluent de la rive gauche appelé Luong qui vient de Phou Phaphan dans la province voisine de Nong Kay. De nombreuses pagodes attestent la richesse de ce chef-lieu. Les maisons y sont plus élevées que d’habitude au-dessus du sol, et les vastes rez-de-chaussée ainsi obtenus servent d’ateliers pour le tissage de la soie et du coton. Je ne doute pas que Ponpissay ne soit le lieu cité dans la relation de Wusthof sous le nom de Huyloun (huei, ruisseau, rivière, en laotien, et loun, contraction de Luong), comme célèbre pour la fabrication des vêtements de soie. « Ce sont les meilleurs, dit-il, que l’on exporte au Siam, Toncquin, Quinam et Camboje. » Ce commerce n’existe plus aujourd’hui, la domination siamoise ayant absorbé à son profit toutes les relations extérieures des régions laotiennes ; mais les langoutis de soie de cette partie du Laos méritent encore la réputation qu’ils avaient acquise au dix-septième siècle par leurs couleurs brillantes et la finesse de leur tissu.

Le Muong prochain, dont nous n’étions qu’à un jour et demi de marche, était celui

  1. Voyez sur l’étymologie du mot Phra (Prea des Cambodgiens, et Pha des Laotiens), la note du colonel Yule, Mission to the court of Ava, p. 61.