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SUR LES DÉCOUVERTES GÉOGRAPHIQUES.

En 1861, Mouhot, voyageur français au service de l’Angleterre, partit de Bankok pour essayer de pénétrer dans le centre même d’une région qui, malgré tant de travaux et d’efforts, restait encore, au point de vue géographique, la plus inconnue de l’Asie. Il rejoignit le fleuve Cambodge à Paklaïe, le remonta jusqu’à Luang-prabang, capitale d’un des petits royaumes qui se partagent, sous la suzeraineté de Siam, la vallée du fleuve, et succomba dans cette ville des suites de ses fatigues, le 10 novembre de la même année. Ses notes furent rapportées à Bankok et ses travaux furent publiés ; malheureusement ses déterminations géographiques offrirent de graves incertitudes, en raison d’accidents survenus en route à ses instruments.

Deux années auparavant, le gouvernement français avait fait occuper les embouchures du Cambodge et établi à Saïgon le siège d’une colonie nouvelle. En 1863, il fit un pas de plus dans l’intérieur de la contrée, en prenant sous son protectorat les restes affaiblis de l’ancien royaume de Cambodge, dont, depuis plus de deux siècles, la cour de Hué et la cour de Siam se disputaient la conquête. Cette région, dont les Européens avaient désappris la route depuis 1643, fut dès lors activement explorée. L’hydrographie du fleuve et des canaux innombrables dont il étend sur toute la contrée l’inextricable réseau, fut entreprise avec persévérance par les ingénieurs français Manen, Vidalin, Héraud. On reconnut et on observa pour la première fois, d’une façon précise, le singulier phénomène que présente le grand lac situé à l’Ouest du fleuve et qui communique avec lui par un bras navigable. Pendant six mois de l’année les eaux de ce lac se déversent dans la mer par l’intermédiaire du fleuve ; pendant les six autres mois, il se transforme en une sorte de mer intérieure dans laquelle le fleuve se déverse en partie.

Malheureusement, des obstacles de navigation arrêtèrent de bonne heure les reconnaissances hydrographiques faites sur le fleuve en chaloupes canonnières, et en 1866 cet immense cours d’eau n’avait pu être remonté que jusqu’à Cratieh, point où, à l’époque des basses eaux, la marée se fait encore sentir et qui est situé à 450 kilomètres environ de l’embouchure. Au delà des frontières de notre colonie, on ne possédait aucun renseignement précis. D’où venait ce fleuve gigantesque ? Était-ce du Tibet, ou, comme le voulaient certaines traditions accréditées au Cambodge, d’un lac profond situé dans l’intérieur du Laos ? Quelles régions arrosait-il ? à quelles populations donnait-il accès ? Ne pouvait-il fournir à son tour une solution à ce problème géographique qui agitait si vivement les Indes anglaises, celui d’une communication commerciale entre la Chine et l’Inde ? En présence des immenses travaux et des efforts incessants accomplis par les Anglais dans l’Occident de la péninsule, il ne convenait pas à la France de rester inactive, et elle devait à la science, à la civilisation et à ses propres intérêts, d’essayer de percer à son tour ce voile épais étendu depuis si longtemps sur le centre de l’Indo-Chine. Comme pour éveiller une émulation féconde, les Anglais essayèrent à plusieurs reprises, en 1864 et 1865, de pénétrer en Chine par le Nord de la Birmanie, en même temps qu’à la suite de Mouhot les Anglais Kennedy et King, le docteur allemand Bastian, visitaient l’intérieur du Cambodge et ces ruines d’Angcor restées si longtemps oubliées.

Nos compatriotes voulurent entrer à leur tour dans cette lice scientifique. Deux Fran-