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VOYAGE D’OUBÔN À HOUTEN.

Quatre ou cinq hameaux, disséminés dans un rayon de quelques kilomètres, sont les centres d’exploitation. La production du métal paraît peu considérable : un mineur n’obtient guère dans une saison que huit à dix livres de plomb. Il paye un impôt en nature. Le plomb a sur les lieux une valeur de 0 fr. 80 le kilogramme. Les étrangers ne sont pas admis à travailler aux mines. Faute de prendre des précautions suffisantes pendant le traitement du minerai, la population indigène est affligée de maladies scrofuleuses et offre le plus misérable aspect. La mort par suite de coliques est fréquente. Quand un malheur de ce genre arrive, on arrête les travaux dans tous les villages pendant une semaine. On ne tolère sur les lieux d’exploitation aucun habit rouge ou blanc. Les habitants croient fermement que ces couleurs excitent les mauvais génies de la montagne, auxquels ils attribuent toutes leurs infortunes, et qu’ils tâchent d’apaiser le plus possible à l’aide de nombreux sacrifices.

Il résulte des informations prises par le commandant de Lagrée qu’il n’y a de ce côté aucune communication avec le Tong-king, dont la vallée du Hin boun semble séparée par une longue série de montagnes. La formation métamorphique déjà rencontrée à Lakon semble prédominer dans toute cette région, dont les grottes de marbre rappellent les fameuses grottes de Tourane, et appartiennent sans aucun doute à la même époque géologique. D’après quelques renseignements, il y aurait des gisements de cuivre dans ces montagnes.

Le commandant de Lagrée revint de cette excursion le 12 mars au matin.

Dans l’intervalle, j’avais enfin rejoint l’expédition.

On se rappelle que j’étais arrivé à Oubôn le 26 février. Je me décidai à aller rejoindre le fleuve à Ban Mouk, et pour éviter les lenteurs qui résultaient d’un trajet fait en char ou à éléphant, je résolus de faire la route à pied. Cette façon de voyager m’obligeait à changer de porteurs à chaque village, mais il m’en fallait un si petit nombre que ce ne devait pas être là une bien grande cause de retard. Je me mis en route le 27 février.

Après avoir laissé sur ma gauche le petit Muong d’Amnat, et croisé la route que l’expédition avait suivie pour se rendre de ce point à Kémarat, j’entrai dans une zone plus accidentée et moins habitée. La forêt reparut. Le 1er  mars, j’arrivai au dernier village relevant d’Oubôn. Les hommes étaient fort occupés à la récolte ; on ne put me trouver, comme porteurs, qu’une douzaine de jeunes filles de dix-huit à vingt ans. Je me remis en route avec cette escorte, dont la gaieté et les éclats de rire donnaient fort à faire aux échos de la forêt.

Le surlendemain, j’entrai dans la province de Ban Mouk ; comme porteurs je n’avais plus mes jeunes filles, mais bien de vigoureux Laotiens ; les ondulations du sol étaient devenues de véritables collines, entrecoupées de ruisseaux à l’eau claire et vive. La forêt était d’une puissance et d’une beauté au-dessus de toute comparaison. Je n’ai jamais vu ailleurs de pareils géants végétaux, de semblables entrelacements de troncs et de lianes. Les chaînes de collines que je traversais séparent le bassin du Se Moun de celui du Se Bang hi, rivière assez considérable qui va se jeter dans le Cambodge, au-dessous de Ban Mouk, vis-à-vis de l’île qui porte son nom ; d’après les renseignements des indigènes, le Se Bang hi sort tout formé d’une grande grotte d’un accès facile, qui se trouve à peu de