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le fleuve et la ville de Kémarat. La contrée, qui avait été jusque-là très-habitée et très-cultivée, revêtit un aspect plus sauvage. Le terrain était plat et sablonneux ; à chaque pas, la pierre de Bien-hoa apparaissait en plaques rougeâtres. Cette roche ne tarda pas à être remplacée par le grès, qui semble former au-dessous une couche profonde. Une forêt de Careya arborea assez claire, règne uniformément entre Amnat et le bord du grand fleuve. Quelques mares croupissantes, quelques ruisseaux à lits de grès et à eaux stagnantes, comme les ont en cette saison presque tous les affluents du Se Moun, accidentent seuls ce monotone paysage. Le pays est presque désert.

Après trois jours de marche, le sol s’ondula légèrement, les habitations et les rizières reparurent et annoncèrent le voisinage du Cambodge. Le 30 janvier, l’expédition entrait à Kémarat : elle fut reçue par M. Delaporte, qui était arrivé dans cette ville depuis quatre jours, et par le premier fonctionnaire de la province, qui remplaçait le gouverneur, mort depuis quelque temps. Ce fonctionnaire témoigna à la Commission française la plus grande déférence. Il partait le lendemain même pour Bankok et se chargea de remettre au consul de France le courrier de M. de Lagrée. Le gouverneur de Siam convoquait pour les funérailles du second roi les principaux mandarins du Laos, et, à partir de ce moment, la Commission allait trouver partout absentes les premières autorités du pays.

Kémarat est situé sur la rive droite du Cambodge, vis-à-vis de l’embouchure du Se Banghien, affluent de la rive opposée. Le logement du gouverneur, les pagodes, le sala où l’on délibère des affaires politiques, ont plus grand air que les constructions de même nature que nous avions déjà rencontrées ; mais ces différents édifices avaient cessé d’être entretenus depuis la mort du gouverneur et présentaient un aspect fort délabré. Des tamariniers, des manguiers et un grand nombre d’arbres à fruits bordent la rive du fleuve et ombragent les maisons du village. Comme partout ailleurs, ce ne fut qu’au bout d’un certain temps que la population s’apprivoisa et que l’on put acheter directement les vivres et les objets de consommation dont l’expédition avait besoin ; mais, dès le début, les autorités locales témoignèrent la meilleure volonté et fournirent sans la moindre répugnance tous les renseignements qu’on leur demanda.

La province de Kémarat est une des plus petites du Laos central. La ville paraît ancienne, et son nom qui, est le même que Kemarata, nom pâli de Xieng Tong, lui a peut-être été donné en souvenir de la première origine de ses habitants. C’est la localité qui paraît désignée dans la relation du voyage de Wusthof sous le nom de Samphana.

De Pak Moun à Kémarat, le fleuve avait offert à M. Delaporte l’aspect d’un immense torrent desséché, laissant à nu de vastes bancs de grès sur tout son parcours. Un chenal irrégulier serpente au milieu du lit rocheux : sa largeur se réduit parfois à moins de 60 mètres et sa profondeur en dépasse 100 dans quelques points où le courant est faible. Chaque rétrécissement de ce chenal produit un rapide ou keng. Ce sont là les seuls incidents de cette pénible navigation et ils ont reçu chacun un nom spécial des indigènes ; les difficultés qu’ils présentent et la route que suivent les barques varient avec la saison. Le marnage moyen du fleuve dans cette région paraît être de 15 mètres ; les eaux étaient bien près de leur niveau le plus bas, au moment du passage de M. Delaporte.