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VOYAGE À PNOM PENH.

l’époque khmer, que je fis le soir en pleine forêt, me rappela que le sol que je foulais leur avait appartenu.

Sankea est dans l’ouest-sud-ouest de Coucan et à une dizaine de lieues. Le gouverneur, qui s’empressa de venir me rendre visite, me persuada que je devais continuer ma route par Sourèn qui était à l’ouest, au lieu de m’enfoncer directement au sud comme j’en avais l’intention. De ce côté il n’y avait point de route praticable, disait-il ; il me parla de montagnes, ce que je compris difficilement au milieu de pays aussi plats que celui où je me trouvais, et que celui vers lequel je me dirigeais. Ce gouverneur était un Kouy que je comblai de joie, en lui faisant cadeau d’une pièce de cotonnade à carreaux rouges et d’une boîte d’allumettes hygiéniques. Je lui dis que j’avais hâte de repartir : une heure ou deux après mon arrivée, de nouveaux chars étaient prêts et je me remettais en route. Je fus bientôt inquiet et désappointé en voyant que la route que nous suivions inclinait de plus en plus vers le nord. J’essayai d’obtenir de mes guides quelques explications ; ils me répondirent évasivement que le gouverneur de Sourèn pouvait seul me faire conduire à Angcor, et je soupçonnai dès lors mon sauvage Kouy de s’être déchargé sur un autre de la responsabilité de me faire rentrer au Cambodge. Il fallut me résigner à ce détour et à cette perte de temps. Par une sorte de compensation, j’appris que non loin de Sourèn se trouvaient des ruines khmers excessivement importantes. Je me promis de les visiter, si leur éloignement n’était pas trop considérable. Le soir de mon départ de Sankea, je franchis, sur un nouveau pont en bois, le Se Coptan, rivière assez considérable qui se jette dans le Se Moun.

Comme Coucan et Sankea, Sourèn est le chef-lieu d’une province cambodgienne, passée depuis la fin du dix-septième siècle (voy. p. 144) sous la domination siamoise. C’est un gros village, et sa position par rapport à Korat et à Bankok lui donne un certain mouvement commercial. Les ruines qu’on m’avait signalées se trouvaient dans le nord-ouest, à une petite journée de marche. Il aurait fallu consacrer deux jours au moins à cette excursion qui était à l’opposite de la route que je devais prendre. Les circonstances n’autorisaient point cette perte de temps, et j’abandonnai, non sans regret, mon projet de visite.

Le gouverneur de Sourèn était absent, et celui qui le remplaçait, tout ahuri d’une aventure aussi surprenante que l’arrivée d’un Français dans son village, ne sut trop quelle attitude il convenait de prendre à mon égard. Il voulut exiger que j’attendisse le retour de son chef ; je m’y refusai ; mais je dus, pour obtenir de nouveaux moyens de transport, le menacer à plusieurs reprises de la colère du « consul farang ». Les chars qu’il me procura, après une journée entière d’attente, avaient ordre de ne me conduire que jusqu’au prochain village, et, au lieu de faire directement route sur le chef-lieu de la province suivante, celle de Tchoncan, je dus subir un relai toutes les deux ou trois heures. Ce que j’usai de patience et de colère durant ce long trajet me restera toujours en mémoire ; toute ma furia francese venait se briser sans résultat contre l’apathique indolence des chefs de village qui me proposaient toujours de remettre mon départ au lendemain : les bœufs étaient au pâturage, les chars en réparation, la chaleur était bien grande, disaient-ils. L’un d’eux parut prendre tant de plaisir à me voir qu’il me proposa d’attendre,