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VOYAGE À PNOM PENH.

Je n’eus pas le temps de faire ample connaissance avec les environs. Dès notre arrivée, le commandant de Lagrée s’était hâté de prendre les renseignements et les dispositions nécessaires pour mon voyage à Angcor ; il espérait que, grâce à l’avance qu’Alexis avait sur moi, je trouverais arrivé en ce point le courrier de l’expédition. J’obtins de M. de Lagrée l’autorisation de poursuivre ma route jusqu’à Pnom Penh, si ses prévisions à cet égard ne se réalisaient pas. Pour faciliter ma mission, le chef de l’expédition me chargea d’une lettre particulière pour le gouverneur d’Angcor sur l’esprit duquel il avait acquis, par un long séjour sur les lieux et par sa situation prépondérante au Cambodge, une influence considérable. Il me recommanda la hâte la plus grande pour ne pas ajouter de nouveaux retards à tous ceux que nous avions déjà dû subir. Pendant mon absence, il comptait aller par terre à Kemarat, chef-lieu de province situé sur le Cambodge en amont de Pak Moun, pendant que M. Delaporte redescendrait seul le Se Moun, et reprendrait, à partir de son embouchure jusqu’à Kemarat, la reconnaissance interrompue du Mékong. De Kemarat, l’expédition remonterait ensuite lentement le cours du fleuve, pour que je pusse la rejoindre en faisant toute la célérité possible.

Le 10 janvier, je dis adieu à mes compagnons de voyage que je quittais pour un temps difficile à prévoir, mais probablement assez long. J’emmenai avec moi le sergent Charbonnier, le soldat d’infanterie de marine Rande et le matelot Renaud, que je devais diriger sur Pnom Penh. Un Annamite, nommé Tei, me servait d’ordonnance. Je remontai le Se Moun pendant trois jours. Au-dessus d’Oubôn, il promène son cours sinueux au milieu de plaines où de nombreux troupeaux trouveraient d’excellents pâturages. Çà et là, de beaux bouquets d’arbres s’élèvent au-dessus des hautes herbes ; un rideau continu de ban-langs et d’euphorbiacées dessine les contours de la rivière et de ses affluents. Partout des plages de sable d’un éclat infini, mais, peu ou point d’animation : les villages ont abandonné la berge pour se retirer dans l’intérieur de la plaine. La voie fluviale n’est plus ici, comme sur les bords du Mékong, le moyen le plus commode de communication et de transport. Les routes par terre sont aussi faciles et plus directes ; le feu fait partout à l’homme une large place à travers la plaine. Ce mode primitif de défrichement n’a pas peu contribué à transformer les forêts épaisses, qui jadis recouvraient le sol, en prairies herbeuses, et le pied se heurte encore çà et là aux troncs noircis des arbres consumés.

Jusqu’à l’embouchure du Sam Ian, affluent de la rive droite, et point où je devais quitter la rivière, je ne rencontrai que quelques pêcheries.

Le 14 janvier, j’arrivai à Si Saket, chef-lieu d’une province laotienne, situé à peu de distance du confluent du Sam Ian et du Se Moun. Je congédiai les gens d’Oubôn qui m’avaient conduit jusque-là, et je demandai aux autorités du lieu quatre chars à bœufs pour continuer ma route par terre dans la direction d’Angcor. Ces chars sont des voitures fort légères, traînées par la race particulière de bœufs que l’on appelle à Saigon bœufs coureurs. Il me fallut les attendre pendant un jour entier. Quelques colporteurs chinois et pégouans campaient en plein air, au milieu de leurs voitures de voyage, semblables à ces charlatans qui encombraient autrefois les places des petites villes de France. Les Pégouans vinrent à moi et me montrèrent une sorte de certificat émané